Nice-Matin (Cannes)

Un ex-flic et chauffeur Uber devenu « Dépose-man » Le courage d’une ado pour dénoncer le réseau

- C. C. CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr 1. Prénom modifié afin de préserver son anonymat. C. C.

Entre elles, les prostituée­s l’appelaient « Dépose-man ». Celui qui les dépose sur leur coin de bitume. Celui qui les dépose du bon côté de la frontière, aussi, à leur arrivée à Vintimille. Nicolas Kostic a été policier, puis chauffeur VTC. Le voici condamné pour proxénétis­me aggravé.

Certes, il reste « un épiphénomè­ne dans ce dossier », dixit son avocat, Me Jean-yves Garino. Ce quadra est l’un des deux prévenus qui comparaiss­ent libres. Un simple « assistant ». Mais sa seule présence traduit un parcours chaotique. Un cas rare. « Dérangeant », aux yeux du parquet.

« C’était un garçon brillant », souligne son défenseur. En 2007, un AVC fait basculer la carrière de ce policier de la Bac. Diminué, Nicolas Kostic est affecté dans des bureaux. En 2015, il quitte la région parisienne pour Nice. Sa famille ne le suit pas. Toujours policier, mais esseulé, il obtient le feu vert pour faire chauffeur Uber hors de ses heures de service.

Juillet 2017, premier coup de semonce. Nicolas Kostic est condamné à 18 mois ferme pour avoir joué les passeurs. Il est révoqué de la police nationale. Mais l’avertissem­ent n’a pas suffi. Le voici condamné, de nouveau, à 18 mois ferme. Il faisait entrer illégaleme­nt de jeunes Nigérianes en France. Puis il les déposait sur le trottoir.

« Il avait de la compassion »

Aide à la prostituti­on ? Me Garino conteste cette notion. « Il avait de la compassion. » Selon lui, l’ex-flic devenu chauffeur Uber faisait « du transport de générosité », payait un kebab aux jeunes femmes quand elles avaient faim, les ramenaient quand elles avaient froid. « Il était gentil », disent-elles de lui. Il était amoureux de l’une d’elles, aussi. « Il a tout fait pour la sortir de la prostituti­on. » Il aurait en outre alerté sa hiérarchie, en vain.

Le parquet n’a pas la même lecture du dossier. « Aider une prostituée, c’est l’orienter vers le commissari­at ou une associatio­n, pas l’amener sur son lieu de travail… » Ni aider, comme il l’a fait, à la création d’une annonce pour vanter ses charmes. Delphine Dumas requiert deux ans de prison. Le tribunal s’en tient à 18 mois, approuve l’interdicti­on de détenir une arme pendant dix ans, et l’interdicti­on définitive de toute fonction publique.

Elle se présente à la barre avec sa frêle silhouette, ses traits juvéniles et son courage à toute épreuve. Aya vient de fêter ses

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22 ans. On n’ose imaginer combien cette jeune femme faisait encore jeune fille, en août 2017, quand elle a déposé plainte contre le réseau qui l’exploitait.

Elle avait alors 16 ans. Elle n’en avait que 14 lorsque des proxénètes l’ont contrainte à se prostituer sur la Côte d’azur. Le témoignage de cette jeune Nigériane forçait le respect, mardi, au premier jour du procès à Nice. Aya fut la première à dénoncer cette organisati­on criminelle. En vain. Sa plainte restera sans suite. Il faudra attendre janvier 2020 pour voir une compatriot­e briser l’omerta à son tour. Cette fois, police et justice s’emparent de l’affaire. À la clé, un coup de filet en septembre 2021. Adolescent­e, Aya travaillai­t comme aide ménagère au Nigeria. Son employeuse lui fait miroiter la perspectiv­e d’études en France. Un homme lui procure un faux passeport. En 2015, Aya prend l’avion pour l’italie. Puis un bus pour la Belgique. Puis la route de Cannes. Une « mama » l’y attend.

« Elle m’a informé que trois personnes avaient payé mon voyage, que je n’allais pas reprendre mes études mais que j’allais devoir me prostituer pour rembourser une dette de 60 000 euros. »

« Privée de sa dignité »

Le montant est vertigineu­x. Glaçant. Aya est contrainte à vendre son corps adolescent. « 30 euros la fellation. 50 euros le coït. »

Me Yann Prevost, avocat de l’organisati­on internatio­nale contre l’esclavage moderne (OICEM), donne la mesure du calvaire vécu par cette ado pour rembourser sa dette exorbitant­e. Celle qui rêvait d’un avenir meilleur devient alors « un objet de consommati­on sexuelle pour des inconnus ». « Sa dignité, on l’en a privée à tout jamais… » Aya est l’une des deux victimes venues témoigner au procès. « Un témoignage bouleversa­nt », a salué Me Tina Colombani, partie civile. Aya n’est pas revenue les jours suivants. Sa vie, la vraie, l’attend. Surmontant ses blessures intimes, elle a entrepris, selon les mots de Me Prevost, de « reconstitu­er sa dignité ». Et de reprendre le chemin de ces études qui l’ont conduite en Europe.

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