Nice-Matin (Cannes)

À Saint-martin-vésubie ,le rôle clef de canaux séculaires

Les habitants récupèrent l’eau de la rivière pour arroser leur jardin grâce à une centaine de canaux. Un système qui permet de préserver l’eau potable tout en sensibilis­ant les habitants.

- F. Z.

É «coutez, rien que le bruit est vital. » Le visage de Joël Savier se fend d’un large sourire alors qu’eric Gili hisse la martelière, une petite vanne de métal qui empêche l’eau de s’engouffrer dans le canal. L’eau s’échappe dans un flot puissant et se met à ruisseler rapidement.

Les deux hommes, Saint-martinois, font partie de l’associatio­n syndicale autorisée (ASA) du canal de Nantelle, chargée de l’entretien et de l’exploitati­on du réseau de canaux éponyme, qui parcourt toute la vallée de la Vésubie.

En tout, 80 hectares de parcelles irriguées par tout un maillage de canaux qui jouent à cache-cache avec la ville et la végétation, repérables le long de la route principale, au détour d’un jardin, ou encore au creux des bois. Un système ingénieux qui remonte au XIIIE siècle et dont, 800 ans plus tard, à l’heure des alertes sécheresse à répétition, l’utilité ne se dément pas.

71 canaux pour « la petite Suisse »

L’ASA du canal de Nantelle couvre « 2,5 kilomètres de canaux secondaire­s dont profitent les 140 adhérents, tous propriétai­res de terrains desservis », souligne Eric Gili. Mais ce n’est qu’une partie des 71 canaux qui irriguent la vallée. « Ce n’est pas pour rien qu’on surnomme la Vésubie “la petite Suisse” », sourit-il en embrassant le vallon verdoyant du regard.

Cette eau, non potable et non traitée, permet aux habitants d’arroser régulièrem­ent leurs parcelles sans puiser dans les réserves d’eau potable de la commune. Elle est déviée de la Vésubie. Au milieu de la caillasse, triste vestige de la tempête Alex, qui borde le cours d’eau, un tuyau noir a été installé pour récupérer le flot de la rivière.

« La tempête a détruit une bonne partie des installati­ons, et le premier été qui a suivi la catastroph­e, les canaux n’ont pas fonctionné », soupire Eric Gili.

Aujourd’hui, les adhérents peuvent irriguer leur terrain une fois par semaine, à des horaires déterminés par l’associatio­n. « C’est ce que l’on appelle le droit d’eau, explique Eric Gili. Pour un hectare, par exemple, j’ai deux heures d’eau le vendredi. » Chaque adhérent ouvre les vannes à l’heure voulue.

Des économies à tous les étages

En contrepart­ie, ils s’acquittent d’une cotisation annuelle de 40 euros. Ceux qui le souhaitent peuvent aussi dédier une demijourné­e de corvée d’entretien par an, ou alors s’acquitter d’une taxe de 20 euros.

« Pour ma part, utiliser l’eau du canal représente une économie de 60 euros par an », calcule Joël Savier. Eric Gili va plus loin : « Pour une saison d’arrosage, j’utilise environ 240 m3. Si je devais arroser mon jardin avec de l’eau potable, cela me reviendrai­t à 456 euros par an. » Une économie de taille, quand on pense aux 40 euros de cotisation annuelle versée à L’ASA.

Mais l’économie ne se fait pas qu’au niveau du porte-monnaie. « En utilisant une eau non traitée, nous ne pesons pas sur les réserves d’eau potable, ni sur les infrastruc­tures nécessaire­s à son traitement », poursuit Joël Savier. Un gain d’autant plus précieux quand on sait que la population de Saint-martinvésu­bie, où de nombreux habitants du littoral possèdent une résidence secondaire, est multipliée par huit en période estivale.

Partage des ressources

L’arrière-pays est particuliè­rement vulnérable face au risque de sécheresse. Philippe Gourbesvil­le, hydrologue à l’université de Nice, explique : « Sur le littoral, les villes sont connectées entre elles, elles peuvent transvaser leurs ressources. C’est plus difficile pour les communes du haut et moyen pays, car les montagnes qui les séparent rendent plus compliquée la liaison entre elles. » À défaut d’une mise en commun entre les villes, c’est à l’échelle des habitants que la réflexion sur le partage de la ressource en eau s’est mise en place. Ce sont les compteurs d’eau imposés par l’union européenne qui ont fait l’effet d’une décharge électrique. « Quand ils ont été installés, les gens ont commencé à se rendre compte de ce qu’ils consommaie­nt et de ce que ça leur coûtait, constate Eric Gili. Cela a redonné de la valeur au canal. » Entre les prélèvemen­ts D’EDF et le changement climatique qui affecte la ressource en eau, la question de la préservati­on a fait surface. « Comment la gérer au mieux ? », poursuit Joël Savier.

« Le grand avantage des canaux, c’est qu’ils permettent une irrigation des plantes par immersion », explique Eric Gili, qui cultive également un potager au pied des montagnes. « Cela évite une évaporatio­n, et c’est mieux pour les plantes qu’un arrosage classique au goutte-à-goutte ou par en haut, qui risque d’entraîner des brûlures sur les feuilles. » Pour économiser l’eau, il n’a pas hésité à repenser ses plantation­s. « J’ai éloigné de la rigole où passe l’eau les oignons, moins gourmands, et remonté les pommes de terre. »

Créer du lien

Le canal des arrosants a également une vertu invisible. Celle de rassembler les habitants de la vallée autour de la gestion de l’eau. « Sans elle, la Vésubie ne serait pas ce qu’elle est, avec son paysage vert qui nous est si cher », explique Eric Gili. S’occuper des canaux n’a rien d’anodin.

« Tout cela encourage à repenser le territoire, les plantation­s, à prendre en compte la nature des sols », explique-t-il en regardant l’eau couler dans le sillon tracé entre les légumes, et s’infiltrer sous le feuillage vert des pommes de terre ou des courges de Fontan.

Un peu plus loin, des framboisie­rs brûlés par le soleil rappellent la sécheresse post-alex, quand les infrastruc­tures, détruites par la tempête, n’étaient plus en mesure de diffuser l’eau. Joël Savier renchérit : « Avec le canal, on perpétue les traditions et la conviviali­té entre les habitants de la zone, nos voisins proches et plus éloignés. L’eau nous rassemble aussi. »

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(Photos Frantz Bouton) « En utilisant une eau non traitée, nous ne pesons pas sur les réserves d’eau potable et sur les infrastruc­tures de la commune », explique Joël Savier.
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L’eau du canal est déviée de la Vésubie. La tempête Alex a, là aussi, détruit une partie des installati­ons. Un tuyau a été installé pour récupérer le flot de la rivière.
Cette vanne de métal, la martelière, permet de réguler l’écoulement de l’eau. L’eau du canal est déviée de la Vésubie. La tempête Alex a, là aussi, détruit une partie des installati­ons. Un tuyau a été installé pour récupérer le flot de la rivière.

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