Les macronistes pris enétau entre les extrêmes
Les partisans du Président ne pourront pas faire voter leurs textes sans l’appui de l’opposition. La Nupes et le RN, s’ils cumulent 289 élus, auront le pouvoir de faire tomber le gouvernement.
Une sanction. Un désaveu. Ou, en termes plus familiers, une déculottée. Du capitole de la présidentielle à la roche Tarpéienne des législatives, le camp macroniste a vécu hier un dimanche noir. Les estimations en nombre de sièges varient d’un institut de sondage à l’autre, mais toutes s’accordent sur un point : Ensemble ! n’a aucune chance d’obtenir la majorité absolue à l’assemblée nationale. Les cartes sont rebattues. Qui tirera les marrons du feu ?
La Macronie plus faible que jamais
Avec un nombre de députés oscillant entre 210 et 250, les différentes formations réunies sous la bannière Ensemble ! n’atteignent
(1) pas les 289 élus qui leur permettraient de gouverner sans alliance. Contrairement à ce qu’a affirmé hier l’insoumis Alexis Corbière, ce n’est pas la première fois que cela se produit sous la Ve République. De 1988 à 1993, François Mitterrand a également dû se contenter d’une majorité relative. Mais cette dernière était de 275 députés pour le PS et ses alliés : le Président socialiste pouvait se tourner tantôt vers les communistes (25 élus), tantôt vers les centristes (41). Cette fois-ci, rien de comparable. Les macronistes ne peuvent compter que sur Les Républicains pour appuyer leurs projets de loi. Dès hier soir, Jean-françois Copé a appelé à un « pacte de gouvernement » avec Ensemble ! Mais la proposition du maire LR de Meaux ne sera pas facile à concrétiser. D’une part, il n’est pas certain que ceux qui arborent encore les peintures de guerre de la présidentielle soient disposés à fumer le calumet de la paix. D’autre part, macronistes et Républicains n’étaient pas assurés, hier soir, d’atteindre ensemble le seuil des 289 députés. À plus long terme, le nombre relativement restreint d’élus Renaissance (environ 150) rend le chef de l’état totalement dépendant de ses alliés Modem et Horizons. Si Emmanuel Macron peut compter sur les partisans de François Bayrou, la fidélité des proches d’édouard Philippe, candidat putatif à la présidentielle de 2027, semble moins assurée.
Le pari réussi de Jean-luc Mélenchon
L’insoumis en chef a accompli un véritable exploit : faire de la Nouvelle Union populaire et écologiste (Nupes) la deuxième force politique au sein de l’hémicycle.
Il a quasiment triplé le nombre de députés de gauche, huit semaines à peine après que trois Français sur quatre ont voté à droite – ou à l’extrême droite – au premier tour de la présidentielle.
Certes, Jean-luc Mélenchon ne sera pas «élu» Premier ministre. Il ne portera pas sa VIE République sur les fonts baptismaux. Mais il savait pertinemment ces deux objectifs impossibles à atteindre. Sa véritable influence, pour les mois à venir, dépend du nombre exact de députés dont il disposera… mais aussi du score du Rassemblement national.
Si la Nupes et le RN obtiennent, à eux deux, 289 élus, ils auront le pouvoir de faire tomber le gouvernement via une motion de censure. Une situation qui pourrait rendre la France ingouvernable. Et contraindre Emmanuel Macron à dissoudre, à plus ou moins court terme, l’assemblée nationale.
Le RN brise le plafond de verre
Le Rassemblement national est l’autre grand vainqueur de ce scrutin. Avec une projection en nombre de sièges oscillant entre 80 et 100, le parti présidé par Jordan Bardella multiplie au moins par dix sa représentation dans l’hémicycle. Plus encore, il va constituer le premier groupe d’opposition – devant la Nupes « morcelée » en plusieurs formations : LFI, PS, EE-LV, etc.
Cela devrait permettre à Marine Le Pen de revendiquer l’un des trois postes de questeurs de l’assemblée nationale, une fonction actuellement occupée par le député azuréen LR Éric Ciotti (2). Symboliquement, le RN brise le fameux « plafond de verre » qui empêchait jusqu’à présent ses candidats de transformer leurs bons scores du premier tour. Il y parvient sans passer par un scrutin à la proportionnelle (3).
Ces excellents résultats vont également apporter du baume au coeur au… trésorier du parti frontiste. Chaque député rapporte 37 280 euros de financement public annuel à sa formation : une véritable manne.
LR fait mieux que sauver les meubles
Même si Les Républicains et leurs alliés (UDI, Centristes…) perdent au moins une trentaine de sièges par rapport à l’assemblée actuelle, ils ont limité la casse. On leur promettait entre 30 et 50 élus ; ils devraient en conserver entre 60 et 78 selon les estimations. Un résultat probablement lié à l’enracinement local de leurs candidats. Plus encore, la faiblesse des macronistes pourrait les rendre incontournables. Mais cette position d’arbitre n’est pas sans risque. Certains caciques, ceux qui naviguent sur les rives les plus à droite comme Laurent Wauquiez ou Eric Ciotti, pourraient rejeter catégoriquement toute alliance avec les ennemis d’hier.
Fragilisé par la dernière présidentielle, le parti pourrait ne pas résister à une nouvelle controverse interne d’une telle ampleur.
1. Ensemble ! réunit les partis Renaissance (EX-LREM), Modem, Horizons, Agir, Territoires de progrès, En commun et Le Parti radical.
2. Les questeurs gèrent les aspects administratifs et matériels de la vie de l’assemblée nationale. Depuis 1973, deux questeurs appartiennent à la majorité parlementaire ; le troisième est issu du principal groupe de l’opposition.
3. En 1986, le Front national avait fait élire 35 députés grâce à un scrutin à la proportionnelle.