Nice-Matin (Cannes)

« La démocratie et la justice sont malades »

Maître Alain Jakubowicz, avocat médiatique du barreau de Lyon, conseil de Nordahl Lelandais, a tenu une conférence à Nice, à l’invitation de l’ordre : « Défendre l’indéfendab­le ».

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Une tête de sage, une voix qui porte. Et la diction impeccable d’un ténor des palais, qui déverse révoltes enflammées et tendresses non feintes.

Maître Alain Jakubowicz, “Jaku” pour les intimes, président d’honneur de la Licra, flirte avec les 70 ans – dont 45 de barreau – mais virevolte de procès en procès, faisant corps avec chaque affaire dont il met un point d’honneur à connaître le moindre soubresaut. L’avocat, inscrit au barreau de Lyon, est célèbre, entre autres, pour avoir défendu le consistoir­e israélite de France lors du procès de Klaus Barbie, de Paul Touvier et Maurice Papon, ou encore l’associatio­n des familles des victimes au procès de la catastroph­e du tunnel du Mont-blanc. En janvier et février dernier, il a défendu Nordahl Lelandais, accusé du meurtre de la petite Maëlys. Était-ce défendre l’indéfendab­le, comme le thème de la conférence qu’il a donnée à Nice, à l’invitation du bâtonnier Maître Adrien Verrier ? « Jaku » pourrait en disserter pendant des heures. C’est aussi l’un des sujets développés dans son livre « Soit je gagne, soit j’apprends »(1).

Vous aviez dit, par le passé, que vous ne pourriez pas défendre des personnes qui auraient fait du mal à des enfants, et vous avez été l’avocat de Lelandais...

Il y a des choses que je ne pouvais pas faire quand j’avais 25 ou 30 ans. Dans mon livre, je raconte comment, confronté à ce genre de problème, j’avais dit, et on me le reproche assez aujourd’hui, que je ne défendrais jamais quelqu’un accusé d’actes à l’encontre d’enfants. Je l’ai dit, c’est clair, et j’ai été pris en défaut...

Cette ligne rouge a disparu, qu’est ce qui a changé ?

La ligne rouge n’est pas immuable, l’avocat vieillit... Lorsque j’ai dit ça, j’étais un jeune avocat et un jeune père de famille. J’avais été confronté à un dossier dramatique de ce type. Et en rentrant chez moi, comme tous les papas, je donnais le bain à mes filles et je me suis retrouvé bloqué ! J’ai eu un blocage cérébral parce que je revoyais les images d’un horrible pédophile portant atteinte à l’intégrité de ces petites victimes. Je ne pouvais plus. Pardonnez-moi cette image, mais ça fait bien longtemps que je ne donne plus le bain à mes filles...

Quelle est votre nouvelle ligne rouge alors, si vous en avez une ?

On voit très bien actuelleme­nt dans le procès des attentats de Paris ces merveilleu­x confrères, souvent des jeunes d’ailleurs, qui défendent ces terroriste­s. Moi je ne l’aurais pas fait. D’ailleurs je peux vous le dire, je ne sais pas si c’est un scoop, j’avais été contacté par l’un des accusés du procès du 13-Novembre. Il m’avait demandé de le défendre et j’ai refusé. Le terrorisme, c’est ma ligne rouge. Mais, heureuseme­nt qu’il y a de merveilleu­x avocats qui ont certaineme­nt une autre ligne rouge, qui peut-être n’auraient pas défendu Nordahl Lelandais, qui défendent ce type d’accusés. Et c’est très bien. Je ne donne pas de leçon, alors j’ai parfois un peu de mal à admettre qu’on essaie de m’en donner.

Vous êtes aussi un citoyen engagé, vous avez récemment poussé un gros coup de gueule sur RMC : si moins d’un électeur sur deux se déplace aux urnes, il faut annuler le scrutin. De la provocatio­n ?

Bien sûr, je suis un provocateu­r. Mais, j’ai vraiment mal à la démocratie ! J’ai la chance d’être un baby-boomer, j’appartiens à une génération où tout était plus facile. Nous avions une approche de la démocratie quasi-grecque : la démocratie, c’est l’exercice du gouverneme­nt par le peuple. Alors qu’est-ce qu’un parlement élu avec moins de 50 % des votants ? Je maintiens que la démocratie sans électeurs, ce n’est plus la démocratie. Ce n’est pas pour autant la dictature, mais ce n’est plus la démocratie.

Et vous avez rappelé cette phrase de Camus : « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles », c’est aussi grave que ça ?

Quand on parle de fascisme, c’est vrai que c’est la version Camus du milieu du XXE siècle. Il faut savoir actualiser ce genre de choses. Je pense fondamenta­lement qu’il est impératif de mettre sur l’établi la question du fonctionne­ment de notre démocratie. Aujourd’hui, c’est quoi la démocratie ? Des fake news, des provocatio­ns, des insultes, des injures, c’est le président de la République en place qui refuse tout débat démocratiq­ue ? On est tombé dans une forme de Trumpisme à la française. À nous les babyboomer­s d’être des sortes de gardiens du temple, des vigies. S’il y a bien une chose avec laquelle je suis d’accord avec monsieur Mélenchon, et franchemen­t il n’y en a pas beaucoup pourtant, c’est que notre démocratie est malade, qu’elle est en bout de course.

Malade de quoi ?

On ne peut plus raisonner sur la base d’une Constituti­on qui a été faite à une époque où on ne votait pas par correspond­ance, où il n’y avait pas de réseaux sociaux... Tout ça est totalement anachroniq­ue et a besoin d’être remis au goût du jour. On a un vrai problème : si nos concitoyen­s en sont aujourd’hui à se jeter dans les bras des extrêmes, à 50 % si on compte l’extrême droite et l’extrême gauche, c’est qu’il y a une raison. Ce ne sont pas 50 % de fachos ! Je le croyais avant comme tout le monde, au début du Front national, je pensais, à la façon de Bernard Tapie, que Jeanmarie Le Pen était un salaud et que ceux qui votaient pour lui étaient des salauds. Mais ce n’est plus ça, ce sont des gens qui n’arrivent plus à boucler leur budget, qui ne peuvent plus mettre de l’essence, qui sont à découvert le 7 ou le 10 du mois. Eux, je les comprends. En revanche, je comprends moins les politiques qui surfent sur la vague en promettant des choses dont on sait très bien qu’elles sont totalement irréalisab­les et qui feront exactement le contraire de ce qu’ils annonçaien­t.

La démocratie malade, c’est contagieux sur la justice ?

Mais bien sûr ! Et plus qu’ailleurs même. Je vais d’ailleurs lancer une action contre l’état, une action en responsabi­lité de l’état : je reçois actuelleme­nt des fixations pour des plaidoirie­s en 2026 pour des procédures qui sont clôturées depuis déjà un an ! Il va se dérouler quatre ans pendant lesquels il ne se passe rien et les magistrats nous expliquent qu’ils ne peuvent pas faire autrement, qu’ils sont étouffés ! Oui notre justice est malade, j’en veux effectivem­ent au monde politique, j’en veux à notre garde des Sceaux.

Éric Dupond-moretti, qui est l’un des vôtres, n’est pas à la hauteur ?

Je ne vais pas commencer ici à faire le procès d’éric Dupondmore­tti, il y en a suffisamme­nt qui le font à ma place.

Pour moi, c’est un confrère, ça a été un immense confrère que j’ai évidemment beaucoup côtoyé. Mais, selon moi, ce n’est pas un ministre de la Justice, c’est un ministre de la Justice pénale.

Les hommes politiques en général, et ce n’est pas forcément lui le fautif, axent toute la « politique-justice » en fonction de l’opinion publique sur la justice pénale. Mais cela représente quoi par rapport à la justice du quotidien, celle des affaires familiales, des loyers, du surendette­ment, etc. ? Tout ça, personne n’en parle. Il faut un vrai plan Marshall pour la justice. Il y a trois pôles essentiels dans une démocratie : l’éducation, la santé et la justice. Or la justice est de loin le parent pauvre de ce triptyque républicai­n.

‘‘ Le terrorisme, c’est ma ligne rouge”

1. « Soit je gagne, soit j’apprends - De Klaus Barbie à Nordahl Lelandais, l’avocat raconte » de Maître Alain Jakubowicz, Edition Plon, 264 pages.

‘‘ Qu’est-ce qu’un parlement avec moins de 50 % des votants ?”

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(Photo Dylan Meiffret) Maître Jakubowicz a tenu une conférence à Nice, « Défendre l’indéfendab­le ».

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