Nice-Matin (Cannes)

10 mois d’émotion et d’angoisse entrés dans l’histoire

- THIERRY LÉVÊQUE / ALP

Un pari inédit, juger la fureur djihadiste comme un crime ordinaire, a déjà été gagné, avant le verdict qui refermera aujourd’hui le plus long procès de l’histoire judiciaire française. Début septembre 2021, cela était loin d’être évident, quand les débats s’ouvraient dans un palais de justice bunkerisé et entouré de centaines de gendarmes. L’audience pouvait se fracasser sur la pandémie de Covid, ou sur un attentat. Les six accusés membres de l’état islamique risquaient de refuser le jeu de la justice démocratiq­ue, comme ceux qui sont en prison depuis des années sous l’accusation « d’associatio­n de malfaiteur­s terroriste » mais clament leur innocence. Enfin, la souffrance des parents des 130 morts, des centaines d’estropiés et de traumatisé­s risquait fort de dénaturer l’audience.

Comme l’avaient espéré les autorités judiciaire­s en déployant des moyens exceptionn­els, l’alchimie si spéciale des assises a pourtant opéré. Presque tous les accusés, dont Salah Abdeslam, ont accepté de s’exprimer. Le débat entre défense, accusation et parties civiles s’est pleinement déroulé, avec des tensions mais surtout des échanges de haute volée.

Malgré un mois de retard et plusieurs accusés frappés par la Covid, l’audience a fait fi de la pandémie. Surtout, les 400 déposition­s des victimes du Bataclan, des terrasses et du Stade de France, ont dessiné pour l’histoire la mémoire de l’événement.

« J’ai peur devant la béance de l’après »

C’est si émouvant et inattendu pour ces victimes, qu’elles semblent déjà angoisser à l’idée de quitter le palais. « J’ai peur devant la béance de l’après », avoue l’un des leurs avocats, Stéphane Maugendre. Les parties civiles ont noué des liens entre elles et même avec les trois accusés jugés libres, dans les cafés et les palabres d’après l’audience. Des groupes de discussion internet ont été créés, des actions ont été engagées. Les dirigeants des principale­s associatio­ns de victimes ont ainsi interpellé directemen­t le président Macron pour lui demander de faire revenir en France les quelque 250 jeunes enfants de djihadiste­s français, victimes innocentes du terrorisme, disent-ils, qui croupissen­t dans des camps en Syrie.

On a beaucoup écrit. David Fritzgoepp­inger, ex-otage et rescapé de la nuit du Bataclan, a tenu un journal de bord sur internet. « Difficile pour moi de contenir mes larmes en terminant ce billet. Difficile pour moi de ne pas m’effondrer », lit-on dans son dernier post. Surprise ultime, les six accusés se réclamant de l’état islamique, Abdeslam, son ami d’enfance Mohamed Abrini venu à Paris avec les tueurs et quatre kamikazes étrangers envoyés de Syrie mais restés l’arme au pied, ont donné des visages humains au djihadisme.

« Je ne suis pas un assassin »

Hommes ordinaires élevés dans des familles banales, ils ont raconté leur engagement sanglant. « Combattant de l’état islamique » revendiqué jusqu’au bout, Salah Abdeslam a dit aussi : « Je ne suis pas un assassin ». Ces deux identités cohabitent peutêtre en lui, a nuancé un psychiatre. En toile de fond du procès, se sont profilées l’indignatio­n visant le régime Assad en Syrie, les frustratio­ns nées des Printemps arabes, et l’imprégnati­on numérique d’une fraction de la jeunesse par une révolte politico-religieuse.

La complexité de l’histoire est entrée dans le prétoire. Il revient à la cour de mettre un point final à ce procès historique. La défense lui demande de renoncer aux peines maximales pour les coupables qui n’ont pas tué. Dans sa plaidoirie finale, l’avocate d’abdeslam, Olivia Ronen, a eu ces mots : « Ces attentats ont été terribleme­nt cruels, mais la justice, elle, n’a pas à l’être. »

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(AFP) Un croquis de la salle d’audience dans laquelle s’est tenu le procès.

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