Nice-Matin (Cannes)

« J’espère des peines lourdes »

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE

Adrien n’a pas assisté au procès à Paris, mais il en est un témoin privilégié. Miraculé du Bataclan, il connaissai­t déjà le dossier sur le bout des ongles quand nous l’avions rencontré, à Monaco, à l’aube du procès des attentats du 13-Novembre. Durant des mois, il l’a suivi au quotidien, via les médias et la webradio réservée aux parties civiles. Un regard affûté, lucide et apaisé. Adrien, 35 ans, est sorti vivant d’une fosse devenue mortuaire lors d’un concert. Il s’y trouvait avec Valentina, 36 ans aujourd’hui. Cette Monégasque devait venir vivre à Paris ; la tragédie a conduit Adrien à faire le chemin inverse. Le couple s’est marié sur la Côte en 2018. Ils n’ont pas attendu ce verdict pour reprendre le fil de leur vie, leur seconde vie. Mais pour Adrien, ce procès n’aura pas été vain.

Quelle impression vous laissent ces dix mois d’audience ?

Il y a eu du bon, du moins bon, et quelques réponses. Il y a eu des questions supplément­aires, aussi, restées sans réponse. Il y a eu par moments pas mal de déception, notamment quand des policiers belges ont fait de la langue de bois. De la déception, il n’y en a pas eu avec les accusés. Je ne m’attendais à rien, sauf à leurs excuses à la fin : selon moi, c’était calculé pour minimiser leur peine.

Comment avez-vous suivi le procès ? Avez-vous témoigné ?

Je l’ai suivi assez régulièrem­ent avec la webradio. Mais les derniers mois, j’ai décroché. En écoutant les accusés, j’ai bien compris qui ils étaient... Témoigner, j’y ai pensé. Mais je n’y suis pas allé. L’occasion ne s’est pas présentée. Je n’ai pas pris la place de quelqu’un qui en avait plus besoin. Chacun a une histoire différente, mais la vision commune a été bien représenté­e.

Les débats ont-ils été à la hauteur des enjeux ?

Oui. C’est quand même un procès historique ! Certains avocats n’ont pas toujours été impeccable­s. Mais globalemen­t, ça s’est très bien passé. Même la couverture médiatique a été à la hauteur : plutôt respectueu­se, dans le factuel, pas le sensationn­el.

Le président Périès a-t-il bien mené cette audience-marathon ?

Le président a vraiment été très bien. Il a toujours été malin dans la manière de répondre aux provocatio­ns. Il savait à quel point on pouvait creuser chez les accusés. On ne pouvait pas en espérer beaucoup plus.

‘‘ Abdeslam n’a pas réintégré l’humanité”

Qu’avez-vous appris ?

J’en ai appris plus sur le déroulé de l’attaque du Bataclan. On a la volonté de savoir le timing exact. C’est important pour rationalis­er ce qu’on a fait.

Quel moment vous a le plus marqué ?

Le témoignage des policiers de la BRI, et celui du commissair­e qui est rentré [le premier dans le Bataclan, Ndlr] avec son chauffeur. Ils ont envoyé un SMS à leurs femmes pour leur dire «Adieu» . Ils y sont allés avec leurs petits pistolets alors que les autres avaient des armes d’assaut. Ils ont fait preuve d’une abnégation impression­nante ! Quant à la BRI, même si c’est leur métier, c’est incroyable. Il n’y a eu aucun mort pendant l’assaut.

Vous considérie­z que Salah Abdeslam avait « perdu son statut d’humain ». Son évolution vous a-t-elle fait changer d’avis ?

Non. Il n’a pas réintégré l’humanité parce qu’il a demandé pardon. Je vois ça comme de la pure stratégie. À mon sens, il n’a pas de vraie conviction. Il s’est adapté à ce qu’on lui a dit. Je le considère comme un lâche, et il ne mérite aucune compassion. Il doit finir sa vie dans un trou à l’isolement. Même s’il doit nous coûter de l’argent.

Êtes-vous d’accord avec les réquisitio­ns ?

Je ne comprends pas pourquoi [Mohamed] Abrini « prendrait » moins qu’abdeslam ; je pense qu’il était au courant. Pour Abdeslam, je trouve logique que soit requise la peine maximum prévue par le droit français. J’espère qu’elle sera appliquée. Ce serait l’occasion de rouvrir un débat sur la vraie perpétuité. Peut-on estimer qu’au bout de trente ans, Abdeslam a payé sa dette à la société ?

La défense a évoqué

« une peine de mort lente »…

Je ne suis pas pour la peine de mort, car il peut toujours y avoir une erreur dans un procès. « Peine de mort lente ? » Tant mieux, quelque part. Il a trente ans pour se dire : « Je n’ai pas fait les bons choix. » À un moment donné, il faut payer. Car tous ceux qu’il a contribué à tuer, ils l’ont payé au prix fort...

Qu’attendez-vous du verdict ?

J’espère des peines lourdes. J’espère ne pas être déçu. J’imagine qu’il y aura appel et une saison 2. Mais l’essentiel était qu’il y ait ce procès.

Vous allez pouvoir « tourner la page » ?

Oui. Je l’ai déjà plus ou moins fait. Je continue à avancer, malgré tout. Valentina va beaucoup mieux. Elle est toujours suivie, mais moins régulièrem­ent. Nous sommes sur la même longueur d’onde.

Ce procès a-t-il contribué à vous « réparer » ?

Non... (il hésite) Enfin si, quand même. C’est une étape importante. S’il n’avait pas eu lieu, ça n’aurait pas aidé. Même si je n’en attendais pas grand-chose, je suis satisfait que tout se soit bien passé.

‘‘ À un moment donné, il faut payer”

 ?? (Photo Jean-françois Ottonello) ?? Adrien et Valentina, rescapés du Bataclan, le 9 septembre dernier à Monaco, au début du procès.
(Photo Jean-françois Ottonello) Adrien et Valentina, rescapés du Bataclan, le 9 septembre dernier à Monaco, au début du procès.

Newspapers in French

Newspapers from France