Kostyantin Zhevago, l’homme pressé exilé sur le Rocher et recherché par toute l’ukraine
« La décision de la Russie d’envahir l’ukraine a entraîné une crise nationale sans précédent, et nous condamnons les attaques militaires que subit actuellement l’ukraine. » Voilà le message qui s’affiche en grand sur le site Internet de la société Ferrexpo. Ce géant de l’industrie minière et du fer y écrit même avoir ouvert un fonds d’urgence pour « soutenir l’effort de guerre ».
Si cette entreprise, qui emploie plus de 10 000 salariés en Ukraine, semble chamboulée par la guerre, c’est loin d’être le cas de son actionnaire majoritaire. Alors que les combats font rage dans son pays, Kostyantin Zhevago est lui tranquillement... à Monaco.
Un yacht baptisé « Z » à Monaco
Tout l’été, son yacht baptisé « Z » – un nom qui résonne étrangement depuis que la lettre symbolise le soutien à la Russie – a navigué entre la Principauté, Saint-jean-capferrat et Antibes. Son propriétaire était bien à bord. Un journaliste ukrainien l’a même filmé sur le ponton de son 65 mètres revenant d’une séance de shopping avec madame, les bras chargés de sacs Chanel. Zhevago n’a pourtant pas fui la guerre en Ukraine en même temps que ses camarades du « bataillon Monaco ». Il serait en réalité en territoire monégasque depuis... 2019. Et ce ne sont pas les charmes de la Riviera qui l’ont amené par chez nous. La 4e plus grosse fortune d’ukraine a fui son pays pour s’éviter une autre bataille... judiciaire, cette fois. Il est en effet soupçonné dans une affaire de détournement de fonds de 113 millions de dollars et de blanchiment d’argent.
L’ukraine demande son extradition à Monaco
Un mandat d’arrêt aurait été émis par Interpol, selon le Bureau d’enquête ukrainien, avant d’être révoqué par la justice ukrainienne, puis émis à nouveau en 2021. Le service de presse de l’homme d’affaires a démenti ces accusations : Kostyantyn Zhevago serait à l’étranger à cause de « circonstances personnelles et médicales », une « bonne raison d’être à l’étranger conformément à la législation ukrainienne en vigueur », et il n’aurait jamais été visé par ledit mandat. Reste que le SBU (le FBI ukrainien) ne le lâche pas. Au point d’émettre une demande d’extradition durant l’été. La première visant un oligarque ukrainien en fuite. Premier, ça colle bien à la personnalité de Kostyantyn
Zhevago. Cet homme pressé vise tout le temps la première place. Self-made-man à la sauce ukrainienne, Kostyantyn Zhevago est le prototype de l’homme parti de rien qui a gravi les échelons de la fortune du pouvoir.
Plus jeune milliardaire d’europe
Entré comme directeur financier d’une prestigieuse banque ukrainienne après des études dans la finance, il en prendra le contrôle seulement 5 ans plus tard.
Tout s’enchaîne très vite ensuite, pour ce fou de vitesse. Il devient à 35 ans le plus jeune milliardaire en Europe, rachète plusieurs entreprises en Crimée et introduit pour la première fois une société ukrainienne en bourse. Élu député en 1998, fonction qu’il occupera jusqu’en 2019, il rachète un petit club de football et réussit à remporter la Coupe d’ukraine, mettant fin à l’hégémonie des deux clubs phares – le Dynamo Kiev et le Shaktar Donetsk, appartenant tous les deux à d’autres membres du « bataillon Monaco ».
« Il a tendance à confondre argent public et privé »
Zhevago aime tout ce qui brille. Il s’offre par exemple une édition unique du prototype Laferrari de Ferrari. La voiture la plus rapide du monde est aussi l’une des plus chères : 1,3 million d’euros. Il y fera coller un drapeau ukrainien sur la portière. Une voiture qu’il ne pourra jamais l’utiliser sur la route, le bolide n’étant pas homologué…
Mais à force de vouloir aller trop vite, il finira par se brûler les ailes. « Il a tendance à confondre argent public et privé, confie un conseiller du ministre de l’intérieur. Il a voulu continuer à faire du business parallèlement à ses activités politiques, ce qui est interdit par la loi ukrainienne. Il sera un jour rattrapé par la justice. »
À moins qu’il décide d’accélérer encore…
C’est l’homme le plus riche d’ukraine. Et sans doute l’ukrainien le plus connu du pays après Volodymyr Zelensky. Rinat Akhmetov est ce qu’on appelle une tête d’affiche du « bataillon Monaco ».
S’il s’est « réfugié » sur la Côte d’azur, c’est tout sauf une surprise. Le propriétaire de l’usine Azovstal de Marioupol – devenue symbole de la résistance face à l’invasion russe – connaît plutôt bien le coin.
Déjà un premier exil à Monaco
Nous sommes en 2004, à l’époque de la « révolution orange » en Ukraine. Alors que la place Maïdan réclame (déjà) un rapprochement avec l’europe et une prise de distance avec la Russie, Akhmetov est pris de panique et choisit l’exil à Monaco. Il est soupçonné d’avoir participé au trucage de l’élection présidentielle par le gouvernement de Viktor Ianoukovytch
et par le puissant clan de Donetsk dont il fait partie.
« Après l’arrivée au pouvoir de Viktor Iouchtchenko, les nouveaux dirigeants se sont mis à régler leurs comptes avec les russophones. Akhmetov est alors le financier du Parti des Régions, et il se sent, à juste titre, visé. Au point de préférer se mettre au vert en Principauté », se souvient un fin connaisseur de l’oligarchie ukrainienne. Celui qui a fait fortune dans le charbon, au début des années 90, trouve refuge dans l’une des plus luxueuses suites de l’hôtel Hermitage. Il y restera deux ans. Et en deux ans, Akhmetov tombera sous le charme de la Côte d’azur. Fin 2006, Akhmetov peut quitter l’hôtel Hermitage. Le calme est revenu au pays. Les poursuites lancées contre lui sont abandonnées. Et quelques semaines après son retour, il se fait même élire député de la Rada de l’oblast de Donetsk, sa ville natale. Mais depuis cette région minière, Akhmetov garde un oeil sur la Côte d’azur, et continue de s’y rendre régulièrement. Des allées et venues qui le conduiront à chercher un pied à terre chez nous. Et il ne fera pas dans la demimesure. Rinat Akhmetov prend le temps, et son choix se portera en 2019 sur la villa des Cèdres, à Saintjean-cap-ferrat. Un bijou. Construite en 1830 sur un terrain de 18 000 m², elle dispose d’un jardin botanique de 14 hectares et a appartenu notamment au roi des Belges Leopold II. Mais c’est à la société Campari que Rinat Akhmetov va l’acheter. Montant de la transaction ? 200 millions d’euros. Une somme astronomique, mais celui qui est à ce moment-là à la tête d’une fortune estimée à près de 15 milliards de dollars fait plutôt une bonne affaire : elle avait été estimée à près d’1 milliard quelques années avant la vente.
Un fou du ballon rond
La transaction fait grand bruit sur la Côte d’azur. Mais quelques années avant, c’est une autre tentative de rachat de sa part qui aurait pu faire la une de tous les journaux.
Retour en 2009. Nice-matin l’annonce dans ses pages : « L’OGC Nice a-t-il trouvé son Abramovitch ? », titre le quotidien, le 23 octobre de cette année-là. En pleine tambouille après le départ du président Maurice Cohen, le Gym attise les convoitises. Les dossiers d’improbables repreneurs se succèdent, mais au milieu, un nom émerge : Rinat Akhmetov. Un avocat niçois est même mandaté pour ficeler une offre.
« Il s’intéresse à L’OGC Nice depuis plusieurs années », confirme un proche du dossier dans nos colonnes. Et cette passion n’est pas le fruit d’une simple lubie. L’ukrainien est déjà propriétaire du Shakhtar Donetsk, un club qu’il a conduit sur le devant de la scène européenne avec notamment une victoire en Coupe de L’UEFA.
« C’est un fou de ballon rond. Il a découvert le Gym pendant son premier exil à Monaco. Il a été charmé par l’histoire du club et son potentiel », se souvient un intermédiaire dans le dossier. L’article de Nice-matin de l’époque se termine par : « On devrait en savoir plus d’ici une semaine. »
On n’en saura jamais plus. Rinat Akhmetov ne donnera plus de nouvelles et le club sera finalement vendu à Jean-pierre Rivère. Mais cela illustre les incroyables revirements dont est capable l’oligarque. Une girouette.
Une tentative de coup d’état contre le président ukrainien...
Pro-russe en 2004 et proche de Viktor Ianoukovytch, il prend position pour le gouvernement pro-occidental de Kiev, en 2014, lors du début de la guerre du Donbass. Le patron d’azovstal participe même activement à la défense de Marioupol, appelant les ouvriers de son usine à rejoindre les forces armées pour défendre la ville face aux assauts des pro-russes. Changement de cap à nouveau avant le début de la guerre. En novembre 2021, Volodymyr Zelensky l’accuse publiquement de participer au financement d’un coup d’état afin de le renverser. « Ce ne sont pas que des informations en provenance de nos renseignements, c’est également une discussion enregistrée dans laquelle des nationaux ukrainiens discutent avec des agents russes de la participation de Rinat Akhmetov au coup d’état », précise Zelensky, alors en plein bras de fer avec l’oligarchie du pays. Tous les médias lui collent à nouveau l’étiquette pro-poutine sur le front.
...avant de se ranger derrière lui après le début de la guerre
Quelques mois plus tard, la Russie envahit pour de bon l’ukraine. Rinat Akhemetov quitte le pays à bord de son jet privé pour rejoindre la Côte d’azur. L’ukraine souffre, l’ukraine résiste. Et Rinat Akhmetov retourne à nouveau sa veste. Il se range derrière Zelensky, répondant à l’appel à l’unité du Président. Il dénonce publiquement les crimes de guerre commis par l’armée russe, salue les sanctions occidentales, cède son empire médiatique à l’état ukrainien, porte plainte contre la Russie devant la Cour européenne des droits de l’homme... et met la main au porte-monnaie.
L’homme d’affaires décide aussi de mettre ses moyens à disposition pour « aider le peuple ukrainien ». « En temps de guerre, mes activités sont concentrées sur le soutien aux gens et à l’armée pour défendre notre souveraineté, notre liberté et notre indépendance », explique-t-il. Financement d’aides humanitaires, soutien aux forces armées... selon le Financial Times, il aurait déjà versé à Kiev plus de 100 millions d’euros. « J’attends sincèrement la victoire de l’ukraine dans cette guerre », confie-t-il.
En cas de victoire, Rinat Akhmetov s’est d’ores et déjà engagé, toujours depuis Monaco, à reconstruire intégralement Marioupol et à participer au financement de la reconstruction du reste du pays. À moins qu’il ne change encore d’avis ?