Nice-Matin (Cannes)

« L’humain a oublié d’être humble face à la nature »

Pour l’ex-ministre de l’environnem­ent Brice Lalonde, il est urgent de poursuivre les investisse­ments dans la décarbonat­ion. Il était présent cette semaine dans le cadre du Forum Transition de Nice.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr 1. Le 1er juillet 2020, la ministre a déclaré dans l’hémicycle : « L’arrêt de Fessenheim incarne l’écologie de responsabi­lité. »

Quel est le point commun entre le nucléaire, les arbres de Noël et le bac jaune ? L’écologie pardi ! Un grand thème qui peut sembler un vaste fourre-tout, compte à rebours inclus. Un sujet de prédilecti­on pour Brice Lalonde, président d’équilibre des énergies. Présent dans le cadre du Forum Transition organisé par la Métropole Nice Côte d’azur, l’ex-ministre de l’environnem­ent (1988-92) évoque sa vision de la bonne marche à suivre : la décarbonat­ion.

Pour décarboner notre société, on fait comment ?

Il faut évidemment inciter les investisse­urs à mettre de l’argent dans de nouvelles filières. Cet effort a déjà commencé, je pense à l’industrie automobile notamment.

Les investisse­ments actuels sont-ils suffisants ?

Non. Il y a toujours ceux qui préfèrent miser sur le pétrole.

Comment faire le poids avec de l’hydrogène et une éolienne ?

Il y a quatre leviers pour l’énergie. D’abord, la chaleur comme le bois, la récupérati­on des eaux usées ou encore les chauffe-eau solaires : pourquoi est-ce qu’il n’y en a pas beaucoup dans le Midi de la France ? Après, il y a l’électricit­é dont on doit changer le calcul du coût : aujourd’hui, il est calé sur le moyen de production le plus cher. On doit administre­r ces tarifs sur le coût de revient moyen. Vous avez aussi la pompe à chaleur : c’est super ça, vous dépensez “un” vous récupérez “quatre”. Là aussi, il faut que les primes de l’état puissent servir à démocratis­er ces installati­ons. Et pour finir, on développe l’hydrogène et les carburants durables que l’on appelle les Saf.

La neutralité carbone en France en 2050, c’est réalisable ?

Peut-être que c’est trop rapide. Il faut faire attention que les objectifs que l’on se fixe soient atteignabl­es. Parce que si l’on n’y arrive pas, on va laisser tomber. C’est le risque. Mais pour 2070, cela me semble tenable.

Le tourisme représente la industrie sur la Côte d’azur : est-ce la fin d’un modèle ?

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Quand un avion est entièremen­t rempli, la consommati­on par passager est mieux répartie. Il ne faut pas trouver des boucs émissaires à tout prix. Le tourisme est capable de se réformer. Et le fait qu’il rapporte de l’argent, ce n’est pas forcément mal. En plus, il permet de développer un sentiment planétaire de solidarité. Il faut que chacun se sente membre de ce monde pour agir : rien de mieux que l’apprentiss­age des langues, les échanges culturels pour cela !

Vous êtes « écoanxieux » ?

Anxieux sans doute, mais je suis persuadé que l’on peut parvenir à vivre dans un monde plus sobre.

Vous vous sentez écouté par les pouvoirs publics ?

Là ça commence, oui ! Avec Emmanuel Macron, sur le premier quinquenna­t, cela n’a pas bien marché. Mais un virage a été pris depuis un an. Je crois qu’il a compris qu’il fallait agir.

Pourquoi a-t-il fallu attendre un mandat ?

En 2017, l’air du temps était antinucléa­ire. Même Élisabeth Borne, lorsqu’elle était ministre de la Transition écologique, a soutenu cette politique (1). Pour ma part, fermer Fessenheim était une erreur.

Greta Thunberg, vous en pensez quoi ?

Elle est parfaiteme­nt sincère, ses paroles sont les siennes et puis… Ça réveille ! En revanche, je n’ai pas apprécié que les gens, y compris certaines sommités, l’invitent pour s’offrir une image.

Elle est devenue une caution vivante ?

C’est ça oui. Vous savez, on mélange tout. Quand vous n’êtes pas au gouverneme­nt, vous avez du mal à identifier les choses qu’il faudrait faire. Je pense à une manifestat­ion qui n’était pas bien dirigée à Paris : à l’époque il était question des choix de Trump et Bolsonaro.

Eh bien au lieu d’aller devant les ambassades des États-unis et du Brésil, les gens se sont tous réunis devant le ministère de l’écologie. Il faut que l’énergie soit bien dirigée pour qu’elle soit efficace.

Les conférence­s pour le climat, les G20 et autres rendez-vous internatio­naux, sont-ils vraiment utiles et efficaces ?

Ils devraient l’être. Pour le G20, c’est plus facile de se mettre d’accord à 20 – qui sont d’ailleurs les plus grands émetteurs de pollution – qu’à 180. Les pays en développem­ent ne veulent pas être freinés, c’est aussi un levier de lutte contre la pauvreté… Mais disons que c’est mieux que rien !

On vit une période de sécheresse, l’hiver va être complexe : est-ce qu’on est tous responsabl­es de cette situation ?

On a les élus qu’on mérite ! Et c’est une affaire mondiale. Même si la France parvenait à être neutre en carbone demain, cela ne changerait pas totalement la situation. Mais oui, on est largement responsabl­es dans un sens : à partir du moment où on a inventé les bagnoles qui ont remplacé les chevaux, et que l’on a décidé de vivre à 20 km de son travail en devant y aller chaque jour au volant…

On doit changer notre mode de vie : vous pensez que les Français sont prêts ?

On voit beaucoup de gens quitter Paris pour des villes moyennes. En quelque sorte, c’est en train de changer. Mais ce n’est pas fixe. Il y a aussi une question qui ne semble pas prise en compte : le niveau de la mer est en train de monter.

Pourquoi rien ne bouge ? Pourquoi les assurances ne se saisissent pas de cela ?

Il y a tout une chaîne de responsabl­es, même les promoteurs immobilier­s qui continuent de construire en front de mer alors que des milliers de gens vont devoir fuir les côtes.

‘‘ Il ne faut pas chercher de bouc émissaire à tout prix”

‘‘ La sobriété dans le quotidien passe par l’éducation”

Malgré tout, le grand public est plus sensible qu’il y a 30 ans à ces questions, non ?

C’est vrai, les gens cherchent à savoir. Le problème c’est que cela reste difficile de tout comprendre. Le grand public veut trouver un interlocut­eur de confiance sauf que beaucoup de gens ont monté des escroqueri­es sur ce sujet : les histoires d’isolation de maison par exemple. On a aussi l’impression qu’on nous raconte n’importe quoi : je dois calfeutrer ma maison mais aussi ouvrir les fenêtres ?

La sobriété dans le quotidien, ça passe par quoi ?

L’éducation. Des choses très simples : arrêter d’être collé à son téléphone toute la journée, éteindre la lumière en sortant de la pièce : ce n’est pas trop difficile ! Il faut éviter la démesure orgueilleu­se, l’humain a oublié d’être humble face à la nature.

Que va-t-on sauver en fait ?

La nature que vous allez sauver maintenant ne sera pas la même que celle de vos grands aïeux. Quand on a découvert le Canada, la mer pullulait de morues, il y avait tellement de vie qu’on marchait sur les castors ! Cela n’arrivera plus.

Malgré tous les efforts possibles. On laisse une autre planète.

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(Photo DR)

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