Réa et séquelles neurologiques :
DE L’ÉMOTIONNEL AU RATIONNEL
« Va-t-il (elle) se réveiller ? Dans quel état ? » Questions douloureuses de familles qui accompagnent un proche admis en réanimation et dont le cerveau a souffert. Pour leur répondre, les spécialistes s’appuient sur des facteurs prédictifs.
Neuropronostication. Un mot savant et sans âme pour décrire en réalité une « préoccupation » infiniment sensible, autant d’un point de vue médical qu’éthique : fournir aux proches d’une personne prise en charge en réanimation un pronostic le plus « précis » possible concernant ses chances de récupération neurologique. Une situation très familière pour le Dr Pierre-marie Bertrand, chef du service de Médecine Intensive Réanimation de l’hôpital de Cannes Simone Veil. Si ce spécialiste, à la pointe de la neuropronostication, se réjouit que son service dispose désormais d’une nouvelle technologie permettant de réaliser un examen électro- encéphalographique 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, permettant d’améliorer le neuropronostic (1), ce sont les questions de fond entourant cette approche, qu’il souhaite aborder.
Le risque d’un diagnostic faussement pessimiste ou optimiste
« À ce stade des connaissances, rien ne nous permet d’affirmer à 100 % qu’une personne dont le cerveau, pour des raisons diverses, a souffert, récupérera peu ou prou son autonomie. Or, il est fondamental que ce pronostic neurologique soit fiable, car les conséquences sont majeures. Un pronostic faussement pessimiste peut en effet conduire à une LAT (Limitations et Arrêts des Traitements,
Ndlr) et donc au décès de patients qui ont en réalité un espoir de récupération neurologique. À l’inverse, un diagnostic faussement optimiste incite à poursuivre la réanimation au prix de séquelles neurologiques très lourdes chez des patients qui ne l’auraient pas souhaité. » Et le médecin reconnaît que certaines situations « favorisent » une obstination déraisonnable : « La tentation est forte, lorsque l’on se retrouve en particulier face à des patients jeunes, de se dire : “c‘est trop injuste, il faut poursuivre les traitements coûte que coûte.” » Au risque d’aller trop loin.
Qu’est ce qui est acceptable ?
Autrement dit de maintenir artificiellement en vie un patient dont l’état neurologique est très fortement altéré. « Ne plus avoir conscience de sa vie, de celle des autres, est-ce acceptable ? », interroge le réanimateur. Et aussitôt, il contrebalance : « À l’opposé, la vie ne mérite-t-elle pas d’être sauvée, lorsque, en dépit de séquelles importantes, un lien social est maintenu, permettant d’accéder à des moments de bonheur ? Ces questions doivent être abordées en toute franchise avec les proches, c’est essentiel. »
Essayer de ne plus être guidé par la seule émotion, mais s’appuyer davantage sur la raison. S’il persiste une zone d’ombre dans le neuropronostic, qui fait le lit de ces questionnements éthiques, les spécialistes bénéficient heureusement d’outils qui les aident à établir un neuropronostic le plus fiable possible. « Nous utilisons une combinaison de prédicteurs : examen neurologique clinique bien sûr, explorations électro-physiologiques, dosage de biomarqueurs sériques – c’est fondamental –, et surtout neuroimagerie par IRM. L’électroencéphalogramme (EEG) continu, qui permet de suivre en permanence l’évolution des patients est aussi un plus qui vient compléter cet arsenal. »
Un arsenal qui permet de fournir une réponse la plus rapide possible aux familles dans une attente anxieuse du réveil. « L’incertitude et l’absence de réponse prolongées sont des facteurs aggravant l’état de stress post-traumatique vécu par un tiers des familles ou des proches de patients hospitalisés en réanimation. »
Ensemble pour répondre aux situations complexes
Fait majeur dans le département des Alpesmaritimes et en Paca Est, les services de réanimation sont en lien étroit. Et lorsque la question « faut-il arrêter ou poursuivre les traitements ? » se pose au sein d’un service confronté à un patient dont le pronostic reste très incertain, les réanimations plus expertes en neuropronostication sont « saisies » pour donner leur avis.
« Les volontés du patient, lorsqu’elles sont connues des proches, sont essentielles et nous aident dans la prise de décision. Mais, ces situations restent très complexes. Car si pour la plupart d’entre nous, le handicap est rédhibitoire – « j’aime mieux mourir que vivre avec un handicap », lorsqu’on est face à la maladie grave, c’est une position très différente qui s’exprime souvent : la valeur vie prend alors une énorme importance. Lorsque les patients se réveillent après un coma, tous ont un très fort élan de vie. »
Une conclusion qui ne doit pas être interprétée comme : « la vie à tout prix » - « Cette époque est révolue, ainsi que le paternalisme médical. »
« La tentation est parfois grande de se dire : c’est trop injuste, il faut poursuivre les traitements coûte que coûte »