Nice-Matin (Cannes)

Addiction : à défaut DE S’ABSTENIR, RÉDUIRE LES RISQUES

Avec les ados

- C. MARTINAT cmartinat@nicematin.fr

Un monde sans drogues, sans addictions : un idéal que notre société a longtemps (et vainement) tenté d’atteindre en naviguant entre politiques préventive­s et répressive­s. Jusqu’aux années quatre-vingt. La dureté de l’épidémie de Sida, et en particulie­r l’explosion des contaminat­ions par injections par voie intraveine­use, a entraîné un changement de paradigme. S’est alors développé un concept plus réaliste dit « de Réduction des risques » (RDR). Cette « politique de Réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogues vise à prévenir la transmissi­on des infections, la mortalité par surdose par injection de drogues intraveine­uses et les dommages sociaux et psychologi­ques liés à la toxicomani­e ». Concrèteme­nt en facilitant l’accès aux seringues stériles à usage unique.

En alcoologie

Cette pratique RDR s’étend désormais à d’autres champs de l’addictolog­ie, comme l’expliquent le Dr Faredj Cherikh, psychiatre et chef du service d’addictolog­ie du CHU de Nice, et sa collègue Azita Etessami, psychologu­e.

« Jusqu’à récemment, indique le Dr Cherikh, on disait que l’abstinence totale était le seul moyen de se sortir de l’alcoolisme. Mais cela découragea­it de nombreux patients et ils consultaie­nt peu dans nos services. Puis des données médicales ont montré que réduire la consommati­on, de moitié par exemple, évite des cirrhoses, des cancers. Donc c’est devenu intéressan­t de proposer une réduction de la consommati­on et pas forcément l’abstinence. Dans tous les cas, c’est le patient qui décide, selon sa demande, son souhait, de limiter les conséquenc­es médicales, sociales ou familiales liées à sa consommati­on » précise le Dr Cherikh. « S’orienter d’abord vers la Réduction des risques n’empêche pas, le moment venu, d’essayer d’avancer vers le sevrage. C’est une démarche

Des études montrent qu’une baisse des consommati­ons réduit significat­ivement les risques liés à la toxicomani­e ou à l’alcoolisme. Avec un accompagne­ment dans le temps, un sevrage progressif est possible.

qui permet de nouer un dialogue, dans la rue ou dans les centres de soins. C’est une possibilit­é, mais il y en a d’autres bien sûr. »

Accompagne­ment dans le temps

La RDR a l’avantage de fixer un objectif à la portée du patient qui constate une améliorati­on de sa santé en réduisant sa consommati­on.

« L’important, détaille le Dr Cherikh, c’est de garder le lien, d’accompagne­r le patient dans une temporalit­é qui va lui permettre d’avancer, avec des progrès, des rechutes, mais en améliorant sa santé petit à petit en changeant ses habitudes de vie. On va éventuelle­ment progresser vers le sevrage, l’abstinence, en modifiant les objectifs au fur et à mesure, selon sa demande. Cette démarche permet d’entretenir sa motivation, avec des objectifs qu’il a choisis, des petites victoires… » Pour y parvenir il faut établir, avec le soignant ou avec l’équipe, une relation de confiance. « Les soignants ne sont pas dans l’exigence de le voir arrêter le produit. C’est ce qui rend le soin possible, on suit le désir du patient, il faut qu’il soit rassuré. On travaille ici avec des psychologu­es, dans cette temporalit­é qui va permettre d’avancer. »

Car, rappelle Azita Etessami, « il y a dans l’addiction une dimension psychologi­que et émotionnel­le qui nécessite un travail. Il faut accompagne­r le sujet dans son désir de se sevrer mais il faut garder en tête que souvent le comporteme­nt addictif existe car il y a d’autres problémati­ques derrière. Il faut aller les chercher, essayer d’aller dans la compréhens­ion de ces difficulté­s pour que le produit ne soit plus une béquille nécessaire. Que la personne n’en ait plus besoin pour prendre le contrôle de sa vie. »

Et en finir avec les risques liés à son addiction.

Cette approche de Réduction des risques (RDR) n’exclut pas les actions de prévention. Particuliè­rement auprès des ados, car, estime le Dr Cherikh.

« La RDR n’a pas lieu d’être quand il n’y a pas eu la rencontre avec le produit. La prévention reste plus adaptée aux premiers stades de la consommati­on débutante, d’autant que les jeunes n’ont pas un cerveau assez mature pour avoir des limites. La RDR peut donc se révéler à double tranchant. »

Elle peut par contre avoir sa place dans le cadre d’une prise en charge globale et familiale.

« Parfois, explique Azita Etessami, quand la famille détecte ou suppose une addiction, il suffit de faire circuler la parole pour contribuer à la réduction du risque, désamorcer le conflit ou le problème qui peut pousser l’ado à consommer. Dans ce cas, oui, consulter avant peut être une démarche de réduction des risques ! »

« C’est le patient qui décide (...) de limiter les conséquenc­es de sa consommati­on »

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