Nice-Matin (Cannes)

Thierry : « Ma fille a agonisé et je n’étais pas là »

Vendredi, Thierry Vimal, qui a perdu dans l’attentat sa fille aînée Amie, 12 ans, a déposé à la barre. Les mots écorchés d’un père à vif. Les auditions de parties civiles reprennent aujourd’hui.

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

M «a fille s’est fait percuter par une grosse machine de 19 tonnes. Et ma fille, elle était bien trop petite pour se faire percuter par toutes ces grosses machines ! » La justice, la police, l’état, les médias, ce n’est pas son truc à Thierry Vimal. Alors être partie civile ? Non. Témoigner ? Non. Trouver sa place à ce procès ? Encore non. Et puis, ce père qui pleure Amie, 12 ans pour toujours, a changé d’avis. Tardivemen­t. « Je me suis constitué partie civile au début de cette année. » Vendredi, Thierry Vimal s’est avancé, à la barre de la cour d’assises spéciale où se tient, jusqu’à la mi-décembre, le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Il a tout déversé, sans censure, écorché. Et ses mots, rudes, tranchants, humains, ont bouleversé la salle d’audience. Cette salle qu’il apprivoise depuis le 5 septembre comme on apprivoise une bête sauvage et où, finalement, il a trouvé sa place. L’écrivain publie des chroniques sur son blog, Ça passe crème ,la plume trempée dans l’acide et dans son coeur à vif.

« Monsieur, on a fait cequ’onapu»

Son 14 juillet, il l’a raconté des dizaines de fois déjà. Mais le père en mille morceaux s’y recolle. Il veut s’appesantir sur ce « mensonge » fait à sa deuxième fille, Laurette, et qui le ronge toujours. « Je lui ai dit : demain matin, on vient te chercher avec maman et Amie. » Quelques instants plus tard, Thierry Vimal arrive à Lenval. Amie est « sous une pieuvre avec plein de bras et des gens qui s’agitent ». « Monsieur, on a fait ce qu’on a pu »... Il avait déjà compris. « Je suis entré dans le bloc, je ne voulais pas vérifier, mais voir à quoi ça ressemble la mort », confie-t-il. « Des pieds, je remonte jusqu’à la tête de ma fille. Ma fille morte, je sais que c’est ça qui m’attend au bout. » Comme une punition qu’il ne semble pas prêt à vouloir arrêter de s’infliger, il confie revivre, depuis, au moins une fois par jour, ce qu’il appelle « son compte à rebours ». Thierry Vimal souffle : « Amie, 12 ans, elle part le matin avec une copine, le soir elle est morte parce que quelqu’un l’a voulu. » Et d’une violente tendresse, il bredouille : « Elle a eu mal, elle a agonisé, elle a asphyxié, et moi, je n’étais pas là. Depuis, je dois en permanence essayer de me racheter ».

Six ans ont passé. « Les relations se cassent », articule

Thierry Vimal. Les unes après les autres. Triste inventaire. Celles avec l’humanité, dans le foyer, la relation à l’autre enfant, à l’autre parent « qui souffre autant que vous, mais pas au même moment, et pas avec les mêmes mots, pas de la même façon ». Jusqu’à la relation amoureuse et la communion des corps. « Le corps, rien que ce mot, il signifie les corps étalés sur la Prom’, le corps de ma fille égratignée. » Ce corps qu’il malmène : « Mon corps a perdu 12 kg après l’attentat, puis en a repris 30.» Cet immense vide, à remplir, tant pis pour la nausée : « Par de l’alcool et de la nourriture, pour devenir une chose inerte. »

Pour lui, déposer, c’est tout déposer. Alors, il avoue : « Ma fille Laurette sait que je vais dire ça, je lui en ai parlé. La situation était tellement abominable, ce triangle avec le conjoint et l’enfant, sans perspectiv­e d’avenir, que je me suis mis à scénariser le suicide collectif. Le meurtre de la mère de ma fille et de ma fille. Je n’ai pas eu la tentation de passer à l’acte, mais ça me faisait du bien. ». La salle, sidérée, le comprend. Ses révoltes surgissent alors. Il en a 19 tonnes sur les épaules. Cette « population des victimes et sa rivalité des douleurs »: « On est extrêmemen­t divisés, donc extrêmemen­t faibles, c’est donc facile de régner sur nous. » Le procès, dit-il, l’a apaisé : « Il y a une trêve dans les couloirs. » Il espère que ça dure. Son combat pour les organes qu’on a prélevés sur sa fille, l’institutio­n qui malmène ceux qui restent.

« La seule issue pour la douleur, c’est l’amour »

La sécurisati­on de la promenade des Anglais, le soir du massacre et cette deuxième instructio­n qu’il soupçonne au point mort dans ce volet de l’affaire. Il veut un procès dans ce volet du dossier. Comme beaucoup d’autres. Enfin, les accusés. Il s’en fichait. Aujourd’hui, plus. Deux l’intéressen­t, Ghraieb et Chafroud, les amis du tueur de Nice. Doit-on se laisser aller au « qui se ressemble s’assemble ? » « Je décide de faire confiance à cette cour », annonce-t-il.

Être Thierry Vimal, c’est passer du noir au blanc. De l’obscurité à la lumière. «Laseule issue pour la douleur, c’est l’amour. » Voilà : « J’ai fini. » Il a fini. Les autres commencent. Une souffrance après l’autre. Les auditions des parties civiles reprennent ce matin. Elles dureront encore tout le mois d’octobre.

 ?? (Photo Thierry Vimal) ?? Thierry Vimal souhaite garder cette image de ses filles : Amie, la grande, avec Laurette, la petite, le jour de la finale de l'euro de football.
(Photo Thierry Vimal) Thierry Vimal souhaite garder cette image de ses filles : Amie, la grande, avec Laurette, la petite, le jour de la finale de l'euro de football.
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