Nice-Matin (Cannes)

« Une très mauvaise réponse à une bonne question »

- > Retrouvez l’interview intégrale sur www.nicematin.com PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC

Thibaud Leplat, installé à Nice depuis bientôt une dizaine d’années, fait partie de ces philosophe­s qui défrichent des terrains moins habituels dans sa profession. En l’occurrence ceux du foot, son autre passion, sur lequel celui qui est aussi journalist­e et auteur a déjà commis plusieurs ouvrages. Il a accepté de parler Coupe du monde au Qatar. Et boycott…

Faut-il boycotter la Coupe du monde au Qatar ?

Non. Et c’est parce qu’on ne la boycotte pas qu’on sait précisémen­t tout ce qu’il s’y passe.

Il faut continuer dans cette attitude.

C’est comme un projecteur braqué sur le pays ?

Bien sûr. Et il faut rappeler que les grandes organisati­ons des droits de l’homme n’ont jamais appelé au boycott de cette compétitio­n. À commencer par Amnesty Internatio­nal. (...) Si ces associatio­ns ne le prônent pas, je ne vois pas pourquoi, à titre individuel, on devrait chacun se flageller dans son coin et s’empêcher de regarder la coupe du monde.

Qu’est-ce ce que ce boycott vient toucher chez certains Français ? Un besoin d’affirmatio­n des valeurs ?

Il y a certaineme­nt une affaire génération­nelle. Une partie du débat s’oriente sur le fait qu’on sait cela depuis douze ans, en s’interrogea­nt sur le fait qu’on s’énerve maintenant. C’est lié, je le crois, à la problémati­que du climat. On voit qu’il y a une remise en question en profondeur de la part de certains mouvements politiques et de la génération des millennial­s.

Ils contestent un certain nombre de choses, et notamment les politiques environnem­entales. (...) Il y a une forme d’activisme que je qualifiera­is d’insurrecti­onnel. Il a pour ambition de pourrir le débat pour provoquer une prise de conscience. À titre personnel, je trouve que c’est une très mauvaise réponse à une bonne question. Effectivem­ent, la question se pose de ces grands événements, du coût environnem­ental, social, politique. On vient d’apprendre que l’arabie saoudite vient d’être désignée pays hôte des Jeux asiatiques d’hiver. On ne peut qu’être interloqué. Mais il y a plusieurs étages à la réflexion.

Lesquels ?

On est d’abord étonnés, choqués, on trouve ça absurde. Mais si cela a lieu, c’est qu’il y a des raisons. Un choc génération­nel, et peut-être entre plusieurs mondes, s’organise. Il se produit entre un monde européen, occidental, qui se préoccupe de plus en plus des enjeux climatique­s, à la faveur de cette nouvelle génération qui prône la sobriété. Et de l’autre côté, un autre monde, qui a une confiance aveugle dans la technologi­e et le progrès.

Êtes-vous pour une éthique de conviction ou de responsabi­lité ?

Ces thèmes viennent d’une célèbre conférence de Max Weber.

Une éthique n’est pas une morale, attention. C’est un ensemble d’actions qui obéissent à des règles. L’éthique de conviction, c’est considérer que les conviction­s individuel­les priment. Qu’on a sa propre conception de la vérité.

Et que ces principes priment sur tout le reste, le monde dût-il en périr. L’éthique de responsabi­lité, c’est l’éthique politique par excellence. C’est considérer que, certes, on a un certain nombre de principes, mais qu’on va essayer de les mettre en oeuvre de la manière la plus efficace possible. Une forme de pragmatism­e (...). Je suis plutôt du côté de l’éthique de responsabi­lité. Dans le cadre de la Coupe du monde au Qatar, l’éthique de responsabi­lité me semble beaucoup plus efficace, dans la mesure où les fins qu’on poursuit, c’est une améliorati­on globale de la situation des travailleu­rs, par exemple. L’éthique de conviction se résume en éteindre la télé, regarder autre chose, et faire des pique-niques festifs qui se détournent complèteme­nt de la réalité.

Le foot, son universali­té, c’est ça qui permet de réunir tout ce dont on vient de parler, les valeurs, la responsabi­lité, ouvrir les yeux, etc. Le foot est tout indiqué pour ça ?

C’est la grande solution et le grand problème. Universali­té ne veut pas dire uniformité. 3,5 milliards de téléspecta­teurs, la moitié de la population mondiale, va s’arrêter et regarder ce qu’il s’y passe. Quand vous avez une telle quantité de personnes, il ne peut y avoir que des désaccords, différente­s conception­s.

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(Photo Abaca Press) Thibaud Leplat est installé à Nice depuis presque dix ans.

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