« Une très mauvaise réponse à une bonne question »
Thibaud Leplat, installé à Nice depuis bientôt une dizaine d’années, fait partie de ces philosophes qui défrichent des terrains moins habituels dans sa profession. En l’occurrence ceux du foot, son autre passion, sur lequel celui qui est aussi journaliste et auteur a déjà commis plusieurs ouvrages. Il a accepté de parler Coupe du monde au Qatar. Et boycott…
Faut-il boycotter la Coupe du monde au Qatar ?
Non. Et c’est parce qu’on ne la boycotte pas qu’on sait précisément tout ce qu’il s’y passe.
Il faut continuer dans cette attitude.
C’est comme un projecteur braqué sur le pays ?
Bien sûr. Et il faut rappeler que les grandes organisations des droits de l’homme n’ont jamais appelé au boycott de cette compétition. À commencer par Amnesty International. (...) Si ces associations ne le prônent pas, je ne vois pas pourquoi, à titre individuel, on devrait chacun se flageller dans son coin et s’empêcher de regarder la coupe du monde.
Qu’est-ce ce que ce boycott vient toucher chez certains Français ? Un besoin d’affirmation des valeurs ?
Il y a certainement une affaire générationnelle. Une partie du débat s’oriente sur le fait qu’on sait cela depuis douze ans, en s’interrogeant sur le fait qu’on s’énerve maintenant. C’est lié, je le crois, à la problématique du climat. On voit qu’il y a une remise en question en profondeur de la part de certains mouvements politiques et de la génération des millennials.
Ils contestent un certain nombre de choses, et notamment les politiques environnementales. (...) Il y a une forme d’activisme que je qualifierais d’insurrectionnel. Il a pour ambition de pourrir le débat pour provoquer une prise de conscience. À titre personnel, je trouve que c’est une très mauvaise réponse à une bonne question. Effectivement, la question se pose de ces grands événements, du coût environnemental, social, politique. On vient d’apprendre que l’arabie saoudite vient d’être désignée pays hôte des Jeux asiatiques d’hiver. On ne peut qu’être interloqué. Mais il y a plusieurs étages à la réflexion.
Lesquels ?
On est d’abord étonnés, choqués, on trouve ça absurde. Mais si cela a lieu, c’est qu’il y a des raisons. Un choc générationnel, et peut-être entre plusieurs mondes, s’organise. Il se produit entre un monde européen, occidental, qui se préoccupe de plus en plus des enjeux climatiques, à la faveur de cette nouvelle génération qui prône la sobriété. Et de l’autre côté, un autre monde, qui a une confiance aveugle dans la technologie et le progrès.
Êtes-vous pour une éthique de conviction ou de responsabilité ?
Ces thèmes viennent d’une célèbre conférence de Max Weber.
Une éthique n’est pas une morale, attention. C’est un ensemble d’actions qui obéissent à des règles. L’éthique de conviction, c’est considérer que les convictions individuelles priment. Qu’on a sa propre conception de la vérité.
Et que ces principes priment sur tout le reste, le monde dût-il en périr. L’éthique de responsabilité, c’est l’éthique politique par excellence. C’est considérer que, certes, on a un certain nombre de principes, mais qu’on va essayer de les mettre en oeuvre de la manière la plus efficace possible. Une forme de pragmatisme (...). Je suis plutôt du côté de l’éthique de responsabilité. Dans le cadre de la Coupe du monde au Qatar, l’éthique de responsabilité me semble beaucoup plus efficace, dans la mesure où les fins qu’on poursuit, c’est une amélioration globale de la situation des travailleurs, par exemple. L’éthique de conviction se résume en éteindre la télé, regarder autre chose, et faire des pique-niques festifs qui se détournent complètement de la réalité.
Le foot, son universalité, c’est ça qui permet de réunir tout ce dont on vient de parler, les valeurs, la responsabilité, ouvrir les yeux, etc. Le foot est tout indiqué pour ça ?
C’est la grande solution et le grand problème. Universalité ne veut pas dire uniformité. 3,5 milliards de téléspectateurs, la moitié de la population mondiale, va s’arrêter et regarder ce qu’il s’y passe. Quand vous avez une telle quantité de personnes, il ne peut y avoir que des désaccords, différentes conceptions.