René Fregni :
«IL N’Y A QUE LA CULTURE QUI TRANSFORME »
C’est peu dire qu’être humain, le thème de ce 35e Festival du livre de Mouans-sartoux parle à son président. Fidèle du rendezvous littéraire azuréen depuis le tout premier, René Fregni – par ailleurs en lice pour le Prix des lecteurs du Var avec son dernier roman, l’autobiographique Minuit dans la ville des songes – s’interroge depuis des années sur ce que c’est qu’être humain. De ses débuts, en 1988 avec Les Chemins noirs, dans lequel le romancier marseillais s’inspirait de son expérience personnelle d’ancien déserteur, fugitif et détenu, à ses missions, aujourd’hui, d’intervenant en milieu carcéral, qu’il mène depuis trente ans à la demande du ministère de la Culture, l’écrivain de 75 ans sait combien la littérature rend plus humain. Au festival ce vendredi, demain et dimanche, il participera demain, à un débat sur le thème « Lire délivre ! Être humain en prison ».
Et c’est avant une visite au centre pénitentiaire de La Farlède et une autre à la maison d’arrêt de Draguignan que René Frégni nous a répondu, en amont du festival.
Vous continuez donc à partager votre amour des livres et de l’écriture avec les prisonniers ?
Depuis plus de 30 ans oui, depuis que le ministère de la Culture me l’a demandé. J’ai commencé dans la prison d’avignon, fermée aujourd’hui, puis aux Baumettes, à Luynes avec des mineurs… Je continue, dans tous les sud-est, de Nîmes à Nice. C’est nécessaire, parce que ce sont souvent des publics qui ont raté leur scolarité, c’est une manière de donner une deuxième chance. La lecture et l’écriture sont aussi des grandes routes d’évasion à partir des mots…
En quoi voyez-vous les prisons changer depuis 30 ans ? Le romancier, qui publie cette année l’autobiographique Minuit dans la ville des songes, est aussi un grand fidèle du Festival du livre de Mouans-sartoux. Il partage, avec Muriel Barbery, la présidence de cette 35e édition et participera, ce samedi, au débat « Être humain en prison ».
La population pénale a changé. Avec les télés allumées, les portables qui circulent et la surpopulation, comment voulezvous lire Flaubert, Giono ou Camus ? Il y a eu un recul de la lecture alors qu’il y a plus de volonté, c’est pour ça que les associations, les intervenants, c’est nécessaire. La prison abîme les individus. C’est l’université du crime… Alors quand les détenus ont lu, quand ils ont écrit, ils peuvent sortir différents.
Concrètement, c’est vrai ?
Oui, il n’y a que la culture qui transforme un Homme. Ces jeunes, du moins pour la plupart, ont grandi sans un livre, sans un instrument de musique, parfois sans parents, donc ils se tournent vers ce qui rapporte le plus vite et le plus, généralement la drogue. Et on le voit, ceux qui sortent en sachant manier les mots ont plus de chance de se réinsérer, de trouver une compagne…
En quoi le thème du festival, vous a-t-il parlé
Être humain,
Le festival de Mouans-sartoux déjà, c’est l’un des plus littéraires, philosophiques, sociaux, politiques… Tout est abordé. Depuis 30 ans, c’est l’un des festivals en France où il y a le plus de débats, d’écrivains aussi, on est 400 cette année ! On s’y pose les questions d’aujourd’hui : le changement climatique, l’alimentation, les droits, tout ce qui peut défendre le vivant.
Pourquoi le livre et ces questions vont-ils ensemble ? ?
Parce que si on ne se cultive pas on ne comprend pas ce qui se passe autour de nous. Sur l’écologie particulièrement. Ce n’est pas complètement visible à l’oeil nu. Il faut lire et comprendre.
Dans
Minuit dans la ville des songes,
vous racontez comment les livres vous ont changé…
Oui, c’est le bilan des émotions d’une vie. Qu’elles soient littéraires, d’enfances, d’amour… J’ai voulu revenir sur les émotions de ma vie et sur ‘‘comment’’ j’ai basculé du petit délinquant des rues de Marseille, fuyant l’école, que j’étais, à l’écrivain que je suis, en passant par ma désertion de l’armée et mon passage en prison où j’ai découvert la littérature. À l’époque, il n’y avait pas de télé ni de téléphone, si tu ne lisais pas, tu parlais au mur… J’en suis sorti six mois plus tard, un homme différent.
C’est ce que vous dira un caïd corse en prison : ‘‘J’ai mieux qu’un calibre, j’ai des mots’’...
Oui et c’est ce que je répète moimême dans mes ateliers. Posez vos armes et prenez un stylo, vous irez plus loin. Regardez les gens qui nous dirigent, ils ont des mots !
Dans ce livre, vous rappelez quels livres vous ont accompagné à chaque étape de votre vie. Comme une suggestion ?
C’est un voyage dans les mots et dans une bibliothèque, oui. A chaque étape, j’ai découvert un auteur sur la route… Dans tous les ports, toutes les gares, toutes les chambres d’hôtels. Un livre de Genet m’est tombé dans les mains, j’ai lu tout Genet. Dostoïevski pareil, Flaubert, Hemingway, Céline, Camus, Giono que je connais par coeur… Tous mes livres sont liés à des rencontres et des paysages. L’étranger de Camus par exemple, c’était en faisant du stop à Thessalonique. J’avais raconté ma vie de vagabond déjà, mais finalement encore peu la puissance des livres sur une vie. Comment ils m’ont pétri. Au départ, on est rebelle mais on est réactif, la littérature m’a rendu plus tolérant. > >