Nice-Matin (Cannes)

Margot Capelier : la reine du casting était une femme

Née Marguerite Leibowitch, elle a conquis le monde du cinéma. Un parcours qui, avant Paris, a commencé sur la Côte d’azur, comme le raconte Corinne Bacharach dans sa récente biographie.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr ◗ « Margot Capelier,reine du casting »,éditionsac­tes Sud (2022). ◗ 272 pages - 25 euros.

Une coriace qui a du coeur. Une tendre qui a du tempéramen­t. Margot Capelier, c’est d’abord un personnage. Un premier rôle de l’ombre dans le cinéma. Née Marguerite Leibowitch d’odessa, elle va conquérir une profession, allant jusqu’à devenir une pionnière. Première directrice de casting en France, elle commencera sa carrière dans les Alpes-maritimes. Un épisode que raconte Corinne Bacharach dans sa biographie (Actes Sud) : « Margot Capelier, reine du casting ». Récit hommage à l’icône disparue en 2007 à l’âge de 96 ans.

Comment avez-vous rencontré Margot Capelier ?

J’ai été attachée de presse pendant très longtemps dans le domaine du théâtre dans les années 70. Je rencontrai­s cette petite dame qui ressemblai­t un peu à Édith Piaf en plus ronde, avec cet accent parigot incroyable. Et j’ai appris qu’elle faisait du casting. Patrice Chéreau avait un lien très fort avec elle. Je l’ai souvent vue, elle m’a raconté des choses de sa vie, mais je n’avais pas compris à cette époque que j’aurais dû lui faire raconter sa vie. Des années plus tard, je répare cet oubli…

C’est une vraie pionnière !

Elle a inventé le casting en France et a été la première femme régisseuse générale. Au-delà de ça, elle protégeait les acteurs et actrices. Bien avant le mouvement Metoo.

De quelle manière ?

J’ai rencontré la comédienne Françoise Brion qui raconte avoir été mise en garde par Margot sur le comporteme­nt du réalisateu­r Robert Siodmak. C’était de la vigilance féministe en soi : prévenir d’un danger éventuel.

Quelle était sa méthode de casting ?

Elle rencontrai­t les gens. Elle préparait les acteurs pour les rendezvous avec les réalisateu­rs comme le raconte le producteur Dominique Besnehard [NDLR, il signe la préface du livre] qui est un « bébé de Margot ». Ce qui ne se fait plus vraiment aujourd’hui : les comédiens réalisent des bandes démos qu’ils envoient aux agents. Les choses se sont désincarné­es.

Le cinéma entre dans sa vie grâce à Jacques Prévert…

Elle le rencontre en 1934, rejoint le groupe Octobre [NDLR, troupe de théâtre des années 30]. Il l’engage comme assistante. C’est lui qui va la faire travailler sur son premier film : Le soleil a toujours raison de Pierre Billon.

Un tournage qui prend place durant l’occupation dans les Alpes-maritimes.

Oui, dans plusieurs endroits : Saint-laurent-du-var, les studios de La Victorine à Nice mais aussi des extérieurs à Saint-tropez. À ce moment-là, Micheline Presle a 19 ans, le rôle-titre est porté par Tino Rossi. Margot découvre un nouvel univers, elle se rend à La Colombe d’or à Saint-paul-devence et voit le monde du cinéma.

Prévert prend soin d’elle dans cette clandestin­ité pour la création.

Il loue une maison à Tourrettes-surloup et la protège comme il protégera ses autres amis juifs : Trauner ,son chef décorateur, qui réalisera les décors dans cette villa, mais aussi le compositeu­r Joseph Kosma.

C’est une autodidact­e ?

Elle a appris sur le tas avec son périple. Il ne faut pas oublier que c’est une technicien­ne, elle connaissai­t le cinéma de l’intérieur : elle savait lire un plan de travail, un budget. Cette notion économique était très appréciée. Au départ, elle choisit les figurants, puis les petits rôles. Comme elle connaissai­t tous les comédiens, elle a commencé à donner son avis. Pour les réalisateu­rs étrangers qui venaient tourner en France, c’était l’aubaine : chez eux le métier de « casting director » existait. Mais pas en France. C’est Fred Zinnemann qui lui donne en premier ce titre. Elle est devenue incontourn­able.

Adjani, Marceau, Bruel… Elle a joué un rôle primordial dans de nombreuses carrières.

Et il y en a beaucoup : Juliette Binoche lui doit sa carrière internatio­nale. C’est Margot qui a insisté pour qu’elle soit dans L’insoutenab­le légèreté de l’être de Philip Kaufman. Elle avait cette intime conviction. Je pense aussi aux Aventures de Rabbi Jacob, c’est elle qui a trouvé le chorégraph­e pour cette danse.

‘‘ Elle faisait jaillir les gens à la lumière !” ‘‘ Ce n’était pas une star mais elle est devenue une légende”

Elle a créé du culte : pourquoi est-elle oubliée ?

Dans le monde du cinéma, on la connaît. Mais effectivem­ent, elle n’est pas connue du grand public. Elle a exercé un métier de l’ombre, malgré quelques petits rôles à l’écran. Mais elle est de l’autre côté du miroir. C’est elle qui fait jaillir les gens à la lumière. Ce n’était pas une star mais c’est devenu une légende.

Elle a traversé le siècle malgré une vie loin d’être tranquille : c’était quoi son secret ?

Elle adorait les jeunes, a continué de toujours s’en entourer et d’avoir plein de copines qui avaient l’âge d’être ses filles. Elle disait : « J’aime pas les vieux, ils ont des douleurs. » [rires] Voilà, c’était elle.

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(Photo DR/ Zabo Nora) Corinne Bacharach a rencontré Margot Capelier : c’est un hommage posthume qu’elle lui rend à travers cette biographie.
 ?? (Photo Dr/collection Eugénie Bachelot-prévert) (Photo DR) ?? Avec son complice Jacques Prévert, au début de l’année 1948 dans le Sud de la France.
En couverture de l’ouvrage : Margot à moitié dans l’ombre, à moitié dans la lumière.
(Photo Dr/collection Eugénie Bachelot-prévert) (Photo DR) Avec son complice Jacques Prévert, au début de l’année 1948 dans le Sud de la France. En couverture de l’ouvrage : Margot à moitié dans l’ombre, à moitié dans la lumière.
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(Photo DR / archives familiales) Sur le tournage de Lady L avec Peter Ustinov en 1964.
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