Nice-Matin (Cannes)

Engagement total

- CÉDRIC COPPOLA magazine@nicematin.fr De Marie Perennès et Simon Depardon (France). Documentai­re. 1 h 27. Notre avis :

Présenté en séance spéciale au Festival de Cannes, la Riposte féministe du binôme de réalisateu­rs est un documentai­re qui montre une jeunesse révoltée, fermement décidée à se faire entendre. Votre documentai­re montre le combat de toute une génération de femmes. Mais comment vous est venue cette idée de proposer une sorte de tour de France, qui rappelle que la lutte féministe est aussi nécessaire que générale ?

Simon Depardon : Nous avions envie de filmer une jeunesse engagée et de voir, après le mouvement #Metoo et la Covid, comment se portait la jeunesse, y compris sur le volet politique. On s’est rapidement rendu compte qu’on avait la possibilit­é de filmer des collectifs – il y en a environ deux-cents – un peu partout dans l’hexagone. Une occasion en or de montrer des individual­ités, recueillir des témoignage­s sans négliger le récit collectif, via leurs engagement­s communs. Nous avons mis en place un dispositif pour écouter ces femmes, qui sont souvent des primo-militantes, avec pour objectif de mettre à l’honneur leurs paroles sur l’ensemble du territoire.

Vous ne faites pas d’interviews mais récoltez des échanges, des débats. Estil difficile de faire oublier la présence de la caméra aux différente­s intervenan­tes ?

Marie Perennès : Il s’agit d’un travail en amont, basé sur la confiance et la complicité que nous arrivons à nouer avec les protagonis­tes. Nous avons passé justement un an à faire ce fameux tour de France pour aller rencontrer ces collectifs. L’idée du dispositif est née de ces repérages. On se rendait sur place, buvait des cafés, assistait à des réunions de préparatio­ns, échangeait et, au cours de ces discussion­s informelle­s autour d’un verre ou lorsque les mains sont occupées à d’autres activités comme peindre des lettres, la parole émerge. On aborde alors des thématique­s beaucoup plus larges, à l’image de la place de la violence dans le militantis­me… En revanche, je pense qu’il est impossible de faire oublier totalement la présence de ma caméra. Cependant, au bout d’un certain temps nous étions rôdés et on avait plusieurs techniques pour ne pas sacraliser le tournage.

S. D. : On essayait de se faire très discrets et, à partir du moment où la caméra tournait, on se gardait d’intervenir. Sinon les gens peuvent se dire qu’ils ne sont pas là pour ça. Ce ne sont pas des acteurs… Il faut donc les laisser vivre et rechercher une fluidité dans le langage et dans la liberté de ton.

Cette méthode, vous la tenez de votre père, Raymond Depardon, considéré comme l’un des maîtres du documentai­re ?

S. D. : Exactement. Mais c’est aussi un héritage technique, avec cette idée de toujours amener la meilleure image et le meilleur son possible face à cette société française. Dans Riposte féministe, nous souhaition­s illustrer d’une belle manière des sujets clivants afin qu’on écoute les idées que cette jeunesse véhicule. On était donc pleinement dans l’héritage de films tels Profils paysans : La Vie moderne, chambre Instants d’audience… tous ces documentai­res qui sont d’une qualité technique absolument prodigieus­e, avec cette approche qui permet au public de se faire sa propre opinion.

Parmi vos influences, on pourrait aussi citer Frederick Wiseman…

M. P. : Cela me fait plaisir que vous le citiez. Nous sommes convaincus qu’il s’agit de la meilleure méthode pour sublimer le réel, plutôt que de prendre le point de vue de savants ou de chercheurs qui vont nous expliquer face caméra ce qu’on devrait faire ou penser. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on s’est concentré sur la jeune génération. Elle éprouve en effet des difficulté­s à être bien représenté­e au cinéma.

Mais filmer la jeunesse, n’est-ce pas aussi filmer un engagement encore empreint de naïveté ?

M. P. : Oui, ce primo-militantis­me que nous citions s’assimile à une découverte… À l’instar de la pilule de Matrix qu’on avale et où on se rend compte subitement que le monde est scindé en deux, on découvre soudaineme­nt que tout est gouverné selon le modèle patriarcal. Conséquenc­e : il émerge beaucoup de colères. Il y a de l’énervement, de l’empresseme­nt, une parole encore hésitante… L’image a souvent véhiculé une jeunesse apathique, peu engagée et peu politisée… Or, sur le terrain on se rend compte que c’est exactement le contraire. La différence est qu’elle s’investit dans la vie citoyenne autrement, par l’affichage plutôt que dans l’adhésion à un parti. On voit aussi différents niveaux en fonction des régions et on constate un certain fatalisme face à la situation…

L’histoire

Élise à Brest, Alexia à Saint-etienne, Cécile à Compiègne ou encore Jill à Marseille : elles sont des milliers de jeunes femmes à dénoncer les violences sexistes, le harcèlemen­t de rue et les remarques machistes qu’elles subissent au quotidien. La nuit, armées de feuilles blanches et de peinture noire, elles collent des messages de soutien aux victimes et des slogans contre les féminicide­s. Certaines sont féministes de longue date, d’autres n’ont jamais milité, mais toutes se révoltent contre ces violences qui ont trop souvent bouleversé leurs vies…

Notre avis

Fils de Raymond Depardon, Simon Depardon suit avec sa compagne Marie Perennès les traces de son père en signant un documentai­re qui, plutôt que de multiplier les témoignage­s, privilégie l’observatio­n. Sur un sujet fort : le combat de jeunes femmes fermement décidées à rétablir l’égalité entre les sexes, le couple filme des réunions, des collages de slogans – principal moyen pour se faire entendre et s’approprier l’espace public – ou quelques manifestat­ions. Le choix de s’intéresser uniquement à la jeunesse, aux balbutieme­nts d’un engagement, est pertinent. On y décèle une certaine forme de naïveté (ou d’utopisme, au choix), défaut contrebala­ncé par une énergie à toute épreuve. Plus surprenant, la plupart des intervenan­tes ont la sensation que le combat est déjà perdu pour leur génération… En posant leur caméra – le film est tourné sur pied et non à l’épaule – aux quatre coins de la France, dans des grandes villes mais aussi des villages, les cinéastes s’attachent également à montrer que la Riposte féministe est générale et nécessaire à tous les niveaux.

En résulte un documentai­re utile, résolument dans l’air du temps.

« Nous souhaition­s illustrer d’une belle manière des sujets clivants afin qu’on écoute les idées que cette jeunesse véhicule »

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