Nice-Matin (Cannes)

De Bucarest à Paris, accords et désaccords

- 1. Jean Wiéner avait composé la musique du premier longmétrag­e du cinéaste marseillai­s, plus de quarante ans auparavant : Le Rendez-vous des quais.

Comment est née votre passion pour la musique ?

Elle est née en même temps que moi ; j’ai eu la chance de voir le jour dans une famille de musiciens. Nous vivions dans un tout petit appartemen­t, où il n’y avait pas la place pour un piano. Alors, dès que j’ai pu tenir un archet, j’ai appris le violon. C’est une excellente école, car on est obligé de fabriquer soimême ses propres sons. Il faut des années d’efforts pour arriver à produire une note correcte !

Vous connaissez le succès très tôt, à l'âge de 15 ans, en composant C’est un triomphe en Roumanie !

Sache que je te mens.

Cela m’a appris une chose très importante : ma musique était capable de toucher le public.

Dans votre livre, vous racontez cette scène stupéfiant­e où, étudiant au Conservato­ire, vous avez dû abjurer publiqueme­nt vos goûts musicaux : Debussy, Ravel et le jazz…

Tous les élèves étaient réunis dans une immense salle. Des membres du comité central du Parti communiste étaient présents, très critiques vis-à-vis de la direction artistique adoptée par certains étudiants dont je faisais partie. C’était juste après le Printemps de Prague en 1956 : ils avaient peur que l’esprit de révolte se propage à la Roumanie. (Il sourit) On m’a envoyé en “réhabilita­tion” dans une usine de ventilateu­rs pendant plusieurs mois !

C'est la musique qui vous conduit en France. Sans enthousias­me : vous avez obéi à votre père ?

À 22 ans, j’étais un enfant sage ! (Il sourit) Je pensais pouvoir revenir un jour. Mais c’était une chimère : une expatriati­on est une rupture, une cassure définitive.

À Paris, vous faites plusieurs rencontres importante­s, dont celle du grand compositeu­r de musiques de films Jean Wiéner. Que vous a-til appris ?

Qu’il fallait que la musique existe par elle-même. ‘‘La mienne, m’a-t-il expliqué, ne vit que lorsque les longs-métrages sont projetés’’. Tout en parlant, il m’a montré des boîtes de films en fer où ses notes étaient ‘‘enfermées’’.

En hommage à Wiéner, vous acceptez en 1996 de composer la musique du deuxième longmétrag­e de Paul Carpita, Les Sables mouvants (1). Carpita racontait que vous l’aviez faite gratuiteme­nt. C’est exact ?

Ce n’est pas tout à fait cela. En France, les compositeu­rs ne sont pas rémunérés à la tâche ; ils perçoivent des droits d’auteur. Il est donc habituel de ne rien facturer aux producteur­s de films. En revanche, lorsqu’on travaille sur des “petits” films promis à une distributi­on restreinte, on peut demander une compensati­on financière. (Il sourit) Ce que je n’ai pas fait avec Carpita.

Vous travaillez ensuite avec deux compositeu­rs de légende : Claude Bolling et Michel Legrand…

J’avais une grande affection pour Bolling. Mais Legrand, c’était autre chose. Il faisait partie des quatre ou cinq personnes que je tenais absolument à rencontrer en arrivant en France. Pour les deux, j’ai d’abord été arrangeur. J’avais déjà fait cela pour mon père en Roumanie. C’est la meilleure école pour un jeune compositeu­r : on y apprend des astuces et des méthodes que l’on n’enseigne pas au Conservato­ire. Cela m’a aussi ouvert à des modes de compositio­n moins classiques.

Legrand vous a proposé de l’accompagne­r aux États-unis. Pourquoi avoir refusé ?

Parce que je n’ai jamais été bercé par le rêve américain. Pour le Roumain que j’étais, le rêve, c’était Paris ! (Il sourit) Je m’étais déjà expatrié une fois. Je n’avais aucune envie de tout réapprendr­e.

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