Nice-Matin (Cannes)

« De Funès ressemblai­t à un notable de Province »

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En 1973, vous collaborez pour la première fois avec Gérard Oury sur Vous étiez en concurrenc­e directe avec Georges Delerue et Michel Polnareff !

Les Aventures de Rabbi Jacob.

Rabbi Jacob, à l’époque, c’était un film très important. Tous les compositeu­rs de Paris se battaient pour décrocher ce contrat, tout le monde faisait des maquettes. Moi, j’ai débarqué sur le projet grâce au meilleur ami de Gérard Oury, le réalisateu­r François Reichenbac­h. Il était persuadé que j’étais le seul musicien capable de composer la scène de la danse hassidique ! Un jour, le producteur Bertrand Javal me demande de me rendre sur le tournage à l’aéroport d’orly. La première chose que Gérard Oury m’a dite, c’est qu’il n’avait pas aimé la musique du Grand Blond… mais qu’il faisait confiance à Reichenbac­h et voulait me donner ma chance. Moi aussi, j’ai fait une maquette pour la danse. Et Oury a été emballé !

Le thème principal de dormait dans vos cahiers de musique depuis des années ?

Rabbi Jacob

J’avais le motif du début : “pan-panpalanpa­n-pan…”» J’ai ensuite développé la mélodie. Lorsque je l’ai fait écouter à Oury, il m’a quasiment entraîné de force jusqu’aux studios de Boulogne-billancour­t pour la faire entendre à De Funès. Je me suis retrouvé dans une petite salle, devant un piano, et j’ai joué… (Il sourit) Louis a adoré. J’ai ensuite enregistré la musique de la danse hassidique. Pendant un mois, Louis est venu chez moi pour répéter avec le chorégraph­e Illan Zaoui. J’ai découvert un homme extrêmemen­t sérieux ; pas du tout le genre Coluche ou Pierre Richard. Il ressemblai­t à un notable de Province.

De Funès jouait déjà en dansant ?

Pas du tout. Ce n’est qu’après, au moment du tournage, qu’il a apporté son génie comique à cette scène ! Il y a eu cinq prises, toutes plus réussies les unes que les autres. Oury a eu du mal à choisir.

Pour en 1982, Oury vous remet en concurrenc­e avec Ennio Morricone !

L'AS des as

La vedette de L’AS des as, ce n’était pas Oury, c’était Belmondo. Son coproducte­ur René Château tenait à Morricone qui venait de faire

Le Profession­nel, avec le succès que l’on sait. Mais Oury souhaitait que ce soit moi. J’ai d’abord refusé de faire une maquette, persuadé que les jeux étaient faits. Gérard est revenu à la charge un mois plus tard. J’ai fini par accepter… (Il sourit) Et j’ai obtenu le contrat.

Vous avez rencontré Ennio Morricone bien plus tard, dans les années 2010. Avez-vous évoqué cet épisode ?

La première fois, ça a été compliqué, parce qu’il ne parlait qu’italien. Puis, en 2017, j’ai assisté à l’un de ses concerts d’adieu à Paris. Il m’a demandé de le rejoindre dans sa loge à l’entracte. (Il rit) Nous n’avons pas évoqué L’AS des as. En revanche, je lui ai raconté comment j’avais découvert son existence. C’était en 1968. J’avais deux heures à tuer sur les Champsélys­ées. Je suis allé voir un film italien, Grazie Zia de Salvatore Samperi. La musique était géniale ! Comme j’avais loupé le générique, je suis resté jusqu’au début de la séance suivante pour découvrir le nom du compositeu­r : Ennio Morricone… J’ai pensé qu’il ne pourrait jamais faire carrière avec un nom pareil !

Est-ce que certains acteurs “portent” vos musiques mieux que d'autres ?

Pierre Richard et Louis de Funès ont des caractères tellement forts qu’ils vous inspirent. Pour une scène de poursuite, par exemple, je ne ferai pas la même musique pour l’un et pour l’autre. Pierre a une démarche plus ludique, plus chaloupée : il lui faut une musique ternaire. Alors que De Funès était un bulldozer. Il lui fallait des mélodies plus saccadées, souvent dans une rythmique binaire.

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