Nice-Matin (Cannes)

Il écrit tôt le matin

- KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr Ce jeudi, à 19 h, à la librairie Papiers Collés Draguignan (4, bd Clemenceau). Demain 25 novembre, à 18 h 30, à la librairie Autour d’un livre à Cannes, (17, rue Jean-jaurès). Samedi 26 novembre, à 19 h, à la librairie M

Avec L’homme peuplé, Franck Bouysse nous entraîne dans le sillage de Caleb et Harry, deux hommes que tout semble opposer. L’auteur est en dédicace aujourd’hui à Draguignan, demain et samedi à Cannes et Nice.

C’est un livre qui fait veiller tard tant il captive son lecteur. C’est l’automne et le vent violent cogne aux fenêtres. Le roman, lui, s’ouvre sur un hiver glacial dans la campagne, en Corrèze, dont l’auteur se nourrit pour écrire. L’homme peuplé nous emmène dans les pas de deux hommes que tout semble opposer. Caleb, l’homme de la terre, sourcier tenu pour sorcier. Bourru et secret. Et Harry, l’homme de la ville, auteur en mal de mots. Deux hommes qui essaient de vivre avec leurs fantômes, sur une terre qui leur est hostile. Franck Bouysse est en dédicace ce jeudi à 19 heures à la librairie Papiers Collés à Draguignan. Puis à Cannes et Nice vendredi et samedi. « En librairie, on a le temps d’échanger véritablem­ent. C’est un très beau partage, et j’apprends plein de choses de mon livre », confie l’auteur, Grand Prix des lectrices Elle et Prix des libraires pour Né d’aucune femme en 2019.

Comment est né le personnage de Caleb dont vous écrivez qu’il

“accueille la nuit comme on se prépare à lutter contre un adversaire”

Ça se passe toujours de la même manière : j’ai une image forte qui s’impose. J’étais derrière la vitre chez moi. J’observais la mésange posée sur le rebord de la fenêtre. La maison que je décris existe bel et bien. Elle est déserte. J’ai écrit la première phrase et j’ai ensuite laissé la main à Caleb. Je ne savais pas encore ce qu’il aurait à me raconter, je ne connaissai­s pas encore Harry. J’ai ensuite vu des phares de voiture. Alors j’ai déroulé l’histoire sans en

?

connaître véritablem­ent la trame.

Face à lui, Harry. Un auteur qui, après un premier roman à succès, part s’isoler à la campagne pour écrire le deuxième. Sa démarche interroge le processus de création...

Il est très inquiet de la page noire... Il veut essayer d’amener quelque chose de nouveau, ne pas reproduire les clés de son précédent ouvrage.

Avez-vous, comme lui, éprouvé la peur de l’échec ?

C’est un questionne­ment que j’ai aussi, c’est vrai. Tous les livres que j’ai écrits, je les avais en moi. Je les ai portés. Un jour, je me suis demandé ce que je pourrais faire si je ne publiais plus de livre… En fait, Harry n’est pas en quête d’inspiratio­n, mais en quête de vérité. C’est cela le plus important pour un romancier : toujours rester dans sa vérité, ne pas transiger.

La nature est aussi un élément très important dans vos romans…

C’est vrai, tout est entremêlé. “Nous sommes aussi la nature” disait Shakespear­e. Il y a quelque chose qui me transcende dans la nature, qui me soulève de ma pesanteur d’humain, tout est à hauteur de végétation, d’animaux. C’est pour cela qu’au début du livre, je décris l’humain

Né à Brive – « C’était la maternité la plus proche », sourit-il –, Franck Bouysse vit toujours en Nouvelleaq­uitaine. « J’habite à 40 km au nord de Brive. Dans une maison isolée, une ferme précisémen­t. C’est un endroit magnifique, avec un puits au milieu de la cour… » Voilà qui fait de nombreux points communs avec la maison qu’achète Harry : « C’est marrant parce que j’avais écrit ce livre avant de trouver la maison où je vis. Je me suis retrouvé à faire ce qu’harry avait vécu, c’était troublant et pas prévu… » Ici il a retrouvé ses rituels d’écriture : « Je me lève toujours très tôt. Je lis un peu et ensuite j’écris. Je fais très vite abstractio­n de ce qui se passe autour de moi quand j’écris. » vu par un oiseau. La mésange qui observe Caleb, c’est pour situer l’ambiance du roman : tout est vu à cette hauteur-là.

Le rapport à la mère est très présent dans le livre...

C’est vrai. Caleb a cette mère qui est une taiseuse, aussi, qui fait beaucoup de mystères sur ses origines… Elle va lui pourrir la vie en fin de compte. Et va provoquer chez Caleb cette incapacité à accepter ce qui lui arrive, même si elle n’est plus là.

Sarah est “guérisseus­e”, et transmet son don à son fils, avec tout ce que cela implique…

C’est la différence, tout simplement, qui provoque cela, comme l’étranger le provoque. Harry y est confronté. Ce sont les croyances qui se substituen­t à la religion quand l’humain est en manque de transcenda­nce.

Vous avez eu des rapports difficiles avec votre mère ?

(Rires) J’ai une mère taiseuse aussi c’est vrai, comme tous les gens d’ici, les gens de la terre.

Harry est tout l’inverse de cela...

Oui, même dans la relation avec ses parents. Sa mère est très accaparant­e, son père est un amoureux de littératur­e… En accueillan­t la littératur­e d’ailleurs, Harry comprend assez vite tout ce qui l’a sorti de la vie en fait. “Longtemps mes yeux se sont usés sur ta promesse” : lorsqu’il est abandonné sentimenta­lement, il comprend aussi pourquoi il n’a pas pu accueillir cette possibilit­é d’amour.

Ce livre appelle les fantômes de vos personnage­s. Vivez-vous, comme eux, avec les vôtres ?

Bien sûr. “Les morts sont les invisibles, ils ne sont pas les absents”, disait Victor Hugo. Je ne suis pas mystique, mais quand on habite une vieille maison, que les marches des escaliers sont usées, que des éléments ont appartenu à d’autres avant que vous n’en deveniez le propriétai­re, forcément cela convoque la mémoire…

Vous écrivez :

“C’est une belle idée de penser que l’on aurait tous une mission à accomplir…”

La vôtre ne serait-elle pas de réconcilie­r certains avec la campagne, avec les hommes et les femmes qui y vivent ?

Peut-être avec l’humain dans son ensemble, tout simplement ? De réconcilie­r les humains avec leurs différence­s. Qu’ils réfléchiss­ent aussi à l’environnem­ent dans lequel ils vivent. Je suis très sensible aux problèmes écologique­s. Sans être militant, je ne délivre pas de message mais à travers mes personnage­s, je dénonce ce qui me révolte parfois, comme l’usage de l’eau par exemple.

En lisant votre livre, on se dit que ce serait un très bon film...

N’est-ce pas ? (Rires) j’espère que le cinéma viendra frapper à ma porte un jour. Ça a failli se faire une fois… Et puis la Covid a arrêté le projet. Je crois que j’aimerais bien voir ce qu’un réalisateu­r ferait de mes personnage­s.

Franck Bouysse en dédicace. >

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« Il y a quelque chose qui me transcende dans la nature »

Franck Bouysse. Éditions Albin Michel. 316 pages. 21,90 euros.

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 ?? ?? L’homme peuplé.
L’homme peuplé.

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