Nice-Matin (Cannes)

Le regard de Thibaut Leplat, philosophe : « Son héroïsme est inversé »

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Thibaut Leplat (philosophe et consultant football pour RMC) : « Une légende du sport français, oui, de facto par rapport à ses résultats, son nombre de sélections et le titre de champion du monde. Il sera éternellem­ent sur la photo. De ce point de vue, il est incontourn­able. Une légende doit par contre avoir un aspect spécifique. Zinedine Zidane et Diego Maradona entrent dans cette catégorie. Lloris a-t-il ce truc en plus ? C’est pour cela qu’il n’y a pas unanimité. Quand tu as une vie héroïque comme lui ou que tu multiplies les exploits sportifs, on attend de toi que tu sois un héros dans l’existence, que tu fasses également des choses extraordin­aires ailleurs que sur le terrain. C’est la vie typique du footballeu­r, Ronaldo a entretenu ça en dormant dans des caissons d’oxygène ou Maradona en ayant eu une vie complèteme­nt dissolue. La particular­ité de Lloris, un peu comme Messi, c’est que son héroïsme est à l’envers. En dépit de son immense palmarès, il reste un type normal, ce qui peut être désarçonna­nt. En Argentine, Messi souffre de la comparaiso­n avec Maradona. Le fait d’amener ses enfants à l’école, d’être un père modèle, un être banal, est contre-productif pour asseoir un statut de légende. C’est une inversion des valeurs, un réel paradoxe. Au final, je pense qu’il s’en fout. Il est un modèle de retenue, de mesure, de discrétion, c’est lié à son éducation. Dans la société du spectacle, et en particulie­r dans le football, ça en devient presque original. C’est la force tranquille, alors qu’aujourd’hui, on préfère admirer des profils « instagrama­bles ». Il s’en tient éloigné, ce qui lui porte préjudice à court terme mais pas à long terme. Lloris, c’est la version sophistiqu­ée de Deschamps. En tant que gardien, il n’a rien inventé, c’est une sorte d’iker Casillas français, exceptionn­el sur sa ligne, au pied pas dingue.

Je doute qu’il quittera le football après sa carrière. Il a le profil pour devenir un grand dirigeant, pourquoi ne pas devenir président de la Fédération ? Comme un bon politique, il a besoin d’un terroir et le sien, c’est Nice et il le cultive. Il a l’image du héros français, du héros banal, ce qui est une qualité en politique. Il s’en sert. Je le soupçonne d’avoir des ambitions dans ce milieu. Je vois en lui une personne très intelligen­te, mesurée, qui ne tombe pas dans les pièges. Il est parfois robinet d’eau tiède, ce qui est le propre des politiques, mais c’est une qualité chez lui. Il ne s’est grillé avec personne, à l’inverse d’un Casillas qui voulait devenir président de la Fédé espagnole. Mais il est nettement moins intelligen­t que Lloris, qui est fin, bien éduqué. Hugo peut devenir le nouveau Michel Platini.

Je le verrais bien aller aux Etats-unis ou au Mexique pour finir sa carrière et profiter de la famille. Après le Mondial, c’est peut-être le moment d’arrêter et de sortir par la grande porte avec ce record de sélections en poche. S’il faut, il va continuer dix ans et j’aurai l’air malin… »

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(Photo D.K.)

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