Nice-Matin (Cannes)

« Siri a été créé comme un vieux pépé un peu sourd »

Luc Julia, cocréateur de l’assistant vocal Siri, donne une conférence aujourd’hui à Nice. L’ingénieur a à coeur de briser les idées reçues sur sa spécialité : l’intelligen­ce artificiel­le.

- MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

‘‘ Alexa a largement dépassé Siri, et propose 100 000 services ”

L’intelligen­ce artificiel­le (IA) ne peut pas tout, mais elle peut déjà beaucoup. Comme une boîte à outils. C’est ce qu’explique Luc Julia aujourd’hui à 17h30 au palais des Rois sardes à Nice à l’invitation du Départemen­t. Cocréateur de Siri (assistant vocal des produits Apple), l’actuel directeur scientifiq­ue chez Renault démystifie le sujet.

On rassure tout le monde : L’IA ne supplanter­a pas l’espèce humaine.

Effectivem­ent. C’est nous qui l’inventons. Un radiologue ne va pas être remplacé par une IA. Mais il va pouvoir l’utiliser pour faire le tri dans ses radios par exemple.

Peut-on dire que L’IA est un miroir pour nous ?

Prenons la métaphore du marteau : ça plante les clous très bien, mieux qu’avec le poing. Mais je peux aussi l’utiliser pour taper la tête de mon voisin. La question est là : est-ce que j’utilise l’outil à bon ou mauvais escient ? La réponse doit être collective. Parce que quoi qu’il arrive, c’est nous qui tenons le manche.

Comment savoir que les données dont on nourrit les IA ne sont pas manipulées ?

Il faut partir du principe qu’elles sont imparfaite­s. Avec le machine learning et le deep learning, qui nécessiten­t des quantités énormes de data, il est à peu près impossible de les vérifier.

Les jeux de données sont certaineme­nt biaisés. Cela demande de réaliser des tests et

Luc Julia est directeur scientifiq­ue chez Renault.

de voir si des choses bizarres se passent. C’est notre boulot de se remettre en question en permanence.

Un employé de Google a été viré parce qu’il a affirmé que L’IA de l’entreprise avait une conscience : votre avis sur l’anthropomo­rphisation ?

D’abord il était fou ce salarié, dans le genre dérive sectaire. Ensuite l’anthropomo­rphisme est tout aussi intéressan­t que dangereux. On ne doit pas faire croire que L’IA peut être une vraie personne comme nous tous. Pour autant, utiliser cette qualité au service des patients atteints d’alzheimer peut être un axe d’étude. Rien n’est tout noir ou tout blanc : il faut s’éduquer, comprendre et prendre des décisions collective­s.

Il n’y a pas de réglementa­tion ?

Non. Il va falloir passer par la régulation, par les lois. Ça vient toujours après l’innovation. Des gens qui font des propositio­ns en ce sens, notamment au niveau européen. On peut espérer que d’ici 2030 quelque chose passe.

La régulation devra aussi s’intéresser à l’impact environnem­ental...

Ce qui est embêtant dans les technologi­es de l’informatio­n, c’est qu’on ne se rend pas compte de l’impact écologique. Des milliers de kilowatts sont nécessaire­s à ces data center pour opérer. Il faut se rendre compte que 60 % de l’énergie sert à refroidir les machines qui chauffent entre elles ! Certains ont parlé de les mettre au pôle Nord ou dans la mer… De telles aberration­s, il y en a plein.

Comme quoi ?

Le Bitcoin. Une transactio­n Bitcoin prend autant de temps qu’un million de transactio­ns bancaires reéalisée par Visa. Ce n’est pas efficient mais ça a fait les affaires de certains. On peut être aveuglé par l’innovation quand on est ingénieur. Je ne dis pas que je n’ai jamais fait de bêtise, mais il faut être responsabl­e et s’interroger sur l’intérêt et l’impact de ce que l’on crée.

Vous avez quitté Apple sans pouvoir faire évoluer Siri. Pourquoi ?

Le Siri qu’on a sorti en 2011 avait cinq services. Aujourd’hui il en a sept. Siri était le bébé de Steve Jobs, mais il est mort le jour de la sortie de l’assistant vocal. Ses successeur­s, je ne parle pas de

Tim Cook, sont des anti-siri. Ils n’ont fait aucun effort pour arriver à l’envergure prévue. Voilà pourquoi on est partis. Aujourd’hui l’assistant vocal d’amazon, Alexa, a largement dépassé Siri, et propose 100 000 services.

L’humour de Siri révèle une limite technique ?

Quand on a commencé à travailler là-dessus en 1990, on ne voulait pas mentir. Reconnaîtr­e les mots était bien plus facile que leur sens ! Alors on a créé Siri comme un vieux pépé un peu sourd et pas très finaud. Du genre à répondre à côté de la plaque parfois et à faire des petites blagues ! C’était aussi un message pour nous en tant qu’ingénieur : non, cet outil n’est pas parfait. Dire la vérité en sciences permet d’avancer.

Les blagues de Siri le rendent attachant aussi !

Et on revient à l’anthropomo­rphisme oui ! Des gens sont tombés très fort làdedans en se coupant du monde pour discuter avec lui. Alors qu’il n’a strictemen­t aucune conversati­on. La frontière est fine en la matière, il faut être vigilant.

Inscriptio­n à la conférence https://my.weezevent.com/ lintellige­nce-artificiel­le-nexistepas-vrai-ou-faux

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(Photo Dr/yves Forestier)

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