4,17 minutes d’un film d’horreur
Une cour d’assises est par définition un lieu impudique. Chercher la vérité judiciaire impose de rouvrir les plaies, de regarder la réalité du crime en face. Les magistrats cheminent sur une fragile ligne de crête avec d’un côté, les nécessités de comprendre, de l’autre, l’exposition du sordide, parfois inutile et complaisante. La présence des parties civiles au procès impose à ces dernier de prendre des précautions. On peut diffuser, par exemple, les images d’un cadavre sur la scène du crime sans pour autant y ajouter les photographies de l’autopsie.
Laurent Raviot, l’expérimenté président de la cour d’assises spéciale, a demandé aux parties leur avis sur l’opportunité de diffuser les images de vidéosurveillance de l’attentat. En filigrane, on percevait qu’il y était d’emblée favorable, comme l’immense majorité des avocats des victimes. La défense y était opposée, avançant un argument juridique recevable : les accusés ne sont pas poursuivis pour complicité de meurtres, le film n’apportant rien à la compréhension de leur rôle.
Deux vidéos amateurs
Deux vidéos amateurs sonorisées ont été ajoutées par le président : « Je tiens à dire qu’il s’agit d’images terribles. Je mets en garde à nouveau les personnes qui vont les visionner des conséquences que ça pourrait avoir. On n’est pas obligé de rester dans la salle si on ne souhaite pas voir l’intégralité de ces vidéos. » Trois personnes sortent. La salle d’audience n’a jamais accueilli autant de monde depuis l’ouverture du procès. Les lumières s’éteignent, des policiers surveillent que les téléphones portables soient éteints. Chacun craint la rediffusion sauvage d’images que l’on pressent abominables.
La première séquence d’un groupe de jazz filmé sur scène ajoute au malaise. Prologue joyeux, festif, d’une des pires tragédies que la France ait connue. L’angoisse monte. On devine un mouvement de foule. Un saxophoniste sur scène se tient la tête, effaré par ce qu’il voit. Suivent des images de panique, des cris, des inconnus qui s’engouffrent dans le hall d’un hôtel. La troisième séquence est constituée d’images muettes enregistrées par la vidéosurveillance de la ville de Nice. Le terroriste monte dans le camion blanc boulevard Verany, circule avec précaution. On le retrouve déboulant à une vitesse effrayante sur le trottoir de la chaussée sud. Un plan large permet de voir cette foule considérable, compacte, insouciante, alors qu’un monstre de 19 tonnes a déjà happé ses premières victimes.
Zigzags
Tel un prédateur insatiable assoiffé de sang, il zigzague pour en dévorer un maximum et semer la mort. Il y a les premiers cris d’effroi parmi les parties civiles, un hurlement de douleur de l’une d’entre elles. On se surprend à détourner le regard tant les images, malgré la distance des six caméras, deviennent insoutenables. La course meurtrière a duré 4,17 minutes. La lumière se rallume et le président suspend l’audience aussitôt. Chacun a besoin de reprendre son souffle.