Nice-Matin (Cannes)

Temporisat­ion

- de DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Grand maître des horloges, Emmanuel Macron est devenu au fil des années le spécialist­e du contretemp­s. Que de décisions annoncées ensuite différées ! En déclarant hier, devant le Conseil national de la refondatio­n (CNR), que la présentati­on de la réforme des retraites que devait faire Élisabeth Borne ce 15 décembre était reportée au 10 janvier 2023, le chef de l’état, une fois encore, a démontré son penchant pour les manoeuvres dilatoires. Si ses laudateurs y verront l’expression d’un art consommé de la tactique, ses contempteu­rs lui reprochero­nt de procrastin­er.

Force est de souligner qu’il est difficile de décrypter les intentions présidenti­elles tant ses idées et son calendrier sur ce qu’il a appelé luimême « la mère des réformes » ont varié.

Le premier projet, lancé au lendemain de son élection en 2017, finit en eau de boudin après plus de deux années de palabres et une adoption en première lecture à l’assemblée nationale sous l’impulsion d’édouard Philippe, alors Premier ministre. L’épidémie de Covid et le licencieme­nt sec du chef du gouverneme­nt conduisent ensuite à fossoyer cette réforme dite « systémique » que condamnaie­nt tous les partenaire­s sociaux. Changement de pied au printemps dernier, Emmanuel Macron renonce au « systémique » et, sans grande explicatio­n, se rallie « au paramétriq­ue », c’est-àdire au passage de l’âge de la retraite de 62 à 65 ans. Les syndicats unanimes protestent, peu lui importe, cette

« Les réformes sans cesse repoussées finissent toujours par rendre l’opinion méfiante, voire rebelle »

mesure phare de sa campagne a été validée par sa réélection fin avril dernier. Ce qui n’est pas faux.

La réforme ne peut plus attendre, décrète-t-il mi septembre. En avant toute ! Les 65 ans seront votés en même temps que la loi de financemen­t de la sécurité sociale en novembre. Mais la levée de boucliers est immédiate. Même François Bayrou, président du CNR, renâcle. Macron recule et ouvre trois mois de concertati­on qui devaient donc se clore ce vendredi. Mais, ce dimanche, l’allié Bayrou grogne encore : « Les Français n’ont pas été informés. » On se frotte les yeux ! Ne débat-on pas de ce sujet depuis 30 ans à coups de rapports, de projets avortés, voire de réformes comme le passage de 60 à 62 ans et l’allongemen­t progressif de la durée de cotisation... Surprise donc hier, le Président donne un nouveau coup de frein avec des arguments peu convaincan­ts : la tenue en ce début décembre des élections profession­nelles dans la fonction publique et les élections de nouveaux dirigeants chez les LR, les Verts et les Insoumis ont perturbé la concertati­on ! Le non-dit présidenti­el, en fait, est plus éclairant : une annonce le 15 décembre aurait pu déclencher un mouvement social immédiat et pourrir les fêtes comme en 1995. Peur inavouée mais menace réelle. D’où ce report mal argumenté qui fragilise le pouvoir : les réformes sans cesse repoussées finissent toujours par rendre l’opinion méfiante, voire rebelle.

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