« Il arrive que je converse avec 10-15 personnes en même temps »
« Brad », traqueur de pédophiles sur Internet
Il se fait appeler « Brad ». Dans la vie, il est marié et père de famille.
Tout ce qu’il y a de plus normal.
À un détail près, « Brad » traque les pédocriminels sur Internet au sein d’une association fondée il y a deux ans, dans les territoires d’outre-mer.
Comment en êtes-vous venu à traquer les pédocriminels ? Quel a été l’élément déclencheur ?
J’ai trois enfants, dont deux filles qui ont l’âge d’aller sur les réseaux sociaux. Elles ont toutes les deux un téléphone, et au collège, ma fille aînée recevait régulièrement des invitations de la part d’adultes. Un jour, elle m’en a parlé, j’ai regardé son profil, et je me suis rendu compte de la teneur des discours des personnes en face : c’était purement sexuel, dans la pédopornographie, avec des demandes de production de photos, des envois de clichés. On était dans le domaine de la pédopornographie. C’est ce qui a été l’élément déclencheur. Je me suis renseigné pour savoir si ma fille était un cas isolé, j’ai vu que des structures anglo-saxonnes existaient. Alors j’ai monté la mienne, où des personnes spécialisées m’ont dit ce que l’on pouvait faire et ne pas faire face à ces personnes, et j’ai lancé le collectif Truly en 2020. Puis, nous sommes passés sous format associatif, l’année dernière. Au sein de l’association, nous sommes une trentaine de membres. Les personnes qui travaillent sur le serveur sont au nombre de trois, dont deux personnes qui m’aident à mener les enquêtes.
Comment vous y prenez-vous ?
Nous n’avons qu’un profil Facebook actif. On a créé ce faux profil il y a quelques mois, on l’a mis en ligne, et on attend que ça morde. Sur ce profil, il y a 1 400 contacts d’adultes. Ils ne me parlent pas tous, mais ils sont là. Il arrive que je converse avec 10-15 personnes en même temps. Certains font des propositions et envoient ces clichés dès la première conversation engagée avec le faux profil. D’autres mettent plusieurs semaines voire plusieurs mois à faire ces propositions ou envoyer des photos pornographiques. Beaucoup d’entre eux envoient des messages vocaux. Généralement, si ça mord au bout de la première semaine de discussions, ça finit en signalement chez le procureur. Une fois que j’ai conversé avec eux, j’extrais les conversations écrites, audio, et les photos, car il arrive qu’ils les effacent. On monte ensuite les dossiers. Je continue à converser avec eux jusqu’à l’arrestation et j’adresse ensuite les « mises à jour » des discussions aux enquêteurs. Pour certains cas, je continue de parler avec eux jusqu’à la veille de l’interpellation.
Si les services de police ou de gendarmerie me demandent de couper le contact, je le fais. Mais je continue régulièrement pour ne pas éveiller de soupçons. Si une personne envoie des photos entre le signalement et l’arrestation, ce sont des preuves que l’on peut archiver.
Combien de signalements avez-vous effectués ?
Depuis septembre 2021, nous avons effectué 120 signalements à travers le monde, majoritairement des hommes. La tranche d’âge est très large, de 18 à 80 ans. Beaucoup ont 40-60 ans et il n’y a pas de catégorie sociale, cela va de l’ingénieur au chômeur.
La crise du Covid et les restrictions de voyage ont fait exploser ces contacts sur les réseaux sociaux.
Sur le profil mis en ligne à quelques mois, il y a 1 400 contacts d’adultes”
On ne les sollicite jamais, on les laisse venir”
Quels sont vos rapports avec la police et la justice lorsque vous faites ces signalements ?
J’essaye de rester à ma place. Lorsque je suis auditionné, les contacts sont très positifs, car on envoie des dossiers aussi complets que possible. La finalité est que la personne figure au Fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Il y a beaucoup de paramètres à gérer lorsqu’on traque ces personnes. Le moindre écart peut faire tomber le dossier à l’eau. On ne les sollicite jamais, on les laisse venir. C’est très cadré. Certains procureurs ont du mal avec notre action, mais je ne cherche pas à court-circuiter la justice, je fais mon devoir de citoyen.
Comment le vivez-vous ?
Je me dis que tant qu’ils me parlent, ils ne parlent pas à mes filles ni aux enfants des autres. Quand ils envoient des photos pédopornographiques, c’est difficile. Mais je suis obligé de les sauvegarder pour les remettre à la justice. Le fait de les stocker me met en difficulté vis-à-vis de la justice. C’est une partie du travail qui nous met hors la loi. J’aimerais ne plus avoir à le faire...