Nice-Matin (Cannes)

Ex-porte-avions Foch : le sabordage d’un mythe

- « un colis toxique ». MATHIEU DALAINE

Il a fait la fierté de la France pendant près de quatre décennies. L’ancien porteavion­s Foch, entré en service en 1963, basé à Toulon de 1976 jusqu’en l’an 2 000, va pourtant être coulé par la Marine brésilienn­e, sans doute au moyen d’explosifs. C’est en tout cas ce qui a été annoncé, jeudi, par le gouverneme­nt du plus grand pays d’amérique du Sud. Le navire, qui avait pris le nom de São Paulo au moment de sa vente outre-atlantique en 2000, doit sombrer au large du continent, là où la profondeur de l’océan atteint les 5 000 mètres.

Pour l’heure, peu de détails ont filtré sur la manoeuvre orchestrée par la Marinha do Brasil. Tout juste sait-on que l’opération a été rendue nécessaire par « la détériorat­ion des conditions de flottabili­té de la coque et l’inévitabil­ité du naufrage spontané ». Bref, l’épave est « usée » par six mois d’errance, remorquée sur les flots, et menace sérieuseme­nt de sombrer. D’après le ministère de la Défense du pays, il n’était « pas possible d’adopter une conduite autre qu’un naufrage planifié et contrôlé ».

Un « cas de force majeure »

Le lieu de cette basse besogne a ainsi été « sélectionn­é sur la base d’une étude menée par le Centre d’hydrograph­ie de la Marine ». Il est considéré comme « le plus sûr » vu « les conditions de dégradatio­n sévère de la coque ». L’endroit se situerait dans la zone économique exclusive du Brésil, en dehors des secteurs de protection de l’environnem­ent. Cette action de sabordage, communémen­t appelée « océanisati­on », est connue de toutes les armées du monde. La Marine nationale française l’a pratiquée pour la dernière fois en Méditerran­ée en 2005, avec le sousmarin Sirène, qui avait servi de cible pour l’occasion. En 2006, au large de la Floride, c’est le porte-avions USS Oriskany qui avait été coulé par les États-unis. Si l’immersion délibérée des navires est désormais interdite par les convention­s internatio­nales, le Brésil invoque, pour le coup, un « cas de force majeure ».

La discrétion dont font preuve les autorités brésilienn­es sur l’opération vise toutefois à ne pas prêter le flanc davantage aux critiques des associatio­ns écologiste­s. Depuis des mois, Greenpeace et autre Robin des Bois qualifient l’ancien São Paulo de « navire poubelle » et craignent «un crime environnem­ental ». D’après leurs estimation­s, l’épave de 266 m pourrait contenir 700 t d’amiante – pas forcément dangereuse dans le milieu marin – mais aussi de bonnes quantités de PCB, de cadmium, de plomb ou de mercure.

Cet événement, s’il se confirme, sera en tout cas l’épilogue d’un feuilleton rocamboles­que débuté cet été. Désarmé en 2017, le navire de 24 000 tonnes avait été acheté pour sa ferraille par Sök Denizcilik, un chantier de démolition turc, et pris en charge par un remorqueur. Mais en septembre dernier, le convoi avait dû faire demi-tour à l’approche de Gibraltar, Erdogan refusant d’accueillir sur son sol

Jeu de Touché Coulé grandeur nature

Depuis, l’épave erre en mer, tel un vaisseau fantôme ; le Brésil lui ayant, à son tour, barré l’accès à ses ports. D’après le brésilien Lincoln C. Vedovi, dont la compagnie a eu la charge du navire avant son départ pour la Turquie, les remous causés à l’internatio­nal par l’agonie puis la disparitio­n du bâtiment militaire sont néanmoins à peine perceptibl­es au pays de Lula. « Le porteavion­s n’est ni le football, ni la samba ou le carnaval », se désole cet amoureux de l’ex-foch. Il s’agirait plutôt, en l’occurrence, d’un jeu de Touché Coulé grandeur nature… sans aucun gagnant.

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(Photo DR) L’une des dernières photos du navire, prise fin décembre au large du Brésil.

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