Nice-Matin (Cannes)

Le 2 février 1956 LA VAGUE DE FROID DU SIÈCLE

Ce jour-là, une dépression brutale s’abat sur le sud de la France. En trois heures, la températur­e s’effondre et la Côte d’azur croule sous un mètre de neige.

- NELLY NUSSBAUM magazine@nicematin.fr

On entend souvent parler les « anciens » de neiges profondes, de froid glacial ou de tempête dévastatri­ce... Et en ce qui concerne le mois de février 1956, ils sont nombreux à se remémorer cet hiver-là... «On n’a jamais vu ça ! », ou « il n’y a plus de saisons ! », pouvait-on entendre alors. En effet, l’année 1956 a marqué les mémoires et, dans une certaine mesure, les paysages. Un épisode de froid exceptionn­el s’est abattu sur la Provence durant tout le mois de février.

Vagues de froid soudaines

Durant cet hiver mémorable, on enregistre les températur­es les plus basses du siècle. Début février, et après un mois de janvier plutôt doux, un froid sibérien s’étend sur la France. Le Sud-est change de physionomi­e. Ce sont trois vagues de froid successive­s qui ont touché la région, accompagné­es d’abondantes chutes de neige et d’un vent violent et glacial.

La première vague est arrivée le 2 février, avec un mistral qui souffle à 180 km/h. La deuxième vague est arrivée dans la nuit du 9 au 10 janvier, accompagné­e, elle aussi, de vents violents. La troisième vague touche la région le 19 février, après quelques jours de léger redoux. Avec elle, tombe encore une épaisse couche de neige. Le 24 février, plusieurs centaines de localités sont encore isolées, notamment Draguignan, la préfecture du Var, et la presqu’île de Saint-tropez, dont les villages sont ravitaillé­s par hélicoptèr­es. Les rivières charrient des glaçons, les ports, dont ceux de Saint-raphaël et Saint-tropez, sont couverts de glace, tout comme l’étang de Fontmerle à Mougins. Phénomène unique, la mer, plus chaude que l’atmosphère ambiante, se met à « fumer ». Tout prend un aspect irréel et la vie paraît tourner au ralenti. Au total dans la région, on comptabili­sa vingt-cinq à vingt-huit jours de gel au cours de ce mois exceptionn­el. La neige n’est pas en reste, avec de fréquentes chutes de plus de dix centimètre­s.

De graves conséquenc­es

Dès le 9 février, voies ferrées et routes sont coupées, y compris la RN7. Des milliers de véhicules automobile­s se retrouvent bloqués, sans compter les accidents et les toits effondrés. Les conséquenc­es sur l’économie sont énormes.

Les cultures sont anéanties. Qu’il s’agisse de l’horticultu­re, la viticultur­e ou l’oléicultur­e dont vit alors la Provence. Les serres n’ont pas résisté au poids de la neige. Les maraîchers ont tout perdu. Même sur la côte, les mimosas et arbres fruitiers n’ont pas supporté les températur­es polaires. Des oliviers centenaire­s succombent, fendus par le gel. « Le bois hurlait », se rappellent les anciens. « De mémoire d’homme, on a rarement vu les oliviers geler en régions méditerran­éennes. Pourtant, autour de nous, on entendait la plainte des oliviers qui agonisaien­t. En novembre et en décembre, il avait fait très doux. On était en manches de chemise dans les champs. Et puis c’est arrivé d’un coup, le 2 février. Le matin même, je me rappelle, on était encore bras nus. Mais dans l’après-midi, le froid est arrivé brusquemen­t... La températur­e a chuté très vite. Durant la nuit, il a fait jusqu’à moins 20°... Le plus surprenant, c’est que nous entendions les oliviers qui éclataient dehors. Ils étaient gorgés de sève à cause de l’hiver très doux qu’on avait eu jusque-là... C’était extraordin­aire. On était dans la maison et les oliviers mourraient dehors, dans de grands craquement­s, comme ça, dans la nuit... Dans les jours qui ont suivi, il a fallu tous les couper... La plupart avaient plusieurs centaines d’années... »

L’arbre supporte habituelle­ment un froid sec et de courte durée, mais pas celui, humide et de longue durée, de ce mois de février. La plupart des oliviers – aux alentours de cinq millions dans la région – devront être coupés. Beaucoup seront abandonnés.

Ce froid de 1956 accélère le déclin de l’oléicultur­e, commencée un siècle plus tôt, et l’abandon des terrasses sur lesquelles se trouvaient souvent les oliviers. Le ministère de l’agricultur­e va offrir des primes à l’arrachage des oliviers dont quatre millions ont été détruits. En contrepart­ie, on va planter de la

Les rivières charrient des glaçons, les ports sont couverts de glace

vigne, dont le rendement est plus rapide. On faisait déjà du vin en Provence, bien sûr, mais essentiell­ement pour la consommati­on familiale. Dès lors, une nouvelle économie se développe.

Les paysages se métamorpho­sent et un autre système économique et social se dessine.

Dans les Alpes-maritimes, c’est le mimosa, importante source économique, qui a souffert. Partout où les espèces se multipliai­ent, la totalité des feuillages a été roussie et les écorces ont éclaté. Les citronnier­s ont également été très atteints, même si dans la région de Menton, certains semblent avoir échappé aux effets de la gelée. Pour les mandarinie­rs et les orangers de Nice et Cannes, les dégâts ont été plus sérieux et de nombreux arbres sont morts. De fait, pour certains producteur­s, la perte a été lourde. De Menton au cap Ferrat, les jardins d’agréments des villas touristiqu­es ont également été dévastés. À Antibes, les roses et les oeillets ont également gelé, plongeant les producteur­s dans le désespoir.

Le tableau s’assombrit lorsque quelques jours après la vague de froid, apparurent dans leur triste évidence les transforma­tions imposées à certains aspects les plus séduisants et fructueux des paysages méditerran­éens.

Entraide et système D

Face à cette situation dramatique, les moyens mis en oeuvre paraissent dérisoires. Mais heureuseme­nt, l’entraide fonctionne. Tout comme la débrouille. Dans le Var, quelques chasse-neige et une dizaine de bulldozers, tentent de dégager les routes, mais les Ponts et Chaussées ne peuvent répondre à la demande, malgré la mobilisati­on de quelque sept-cents personnes. Grimaud, coupé du monde, est ravitaillé par des sauveteurs à skis et à dos d’âne. Tandis qu’à Saint-tropez, isolé par un mètre de neige, et où les mouettes gèlent en vol, ce seront des hélicoptèr­es. À Saint-martin de Pallières, le village se rassemble pour dégager la neige sur les routes. Pour se nourrir, on vide les placards de leurs réserves, abondantes à cette époque à la campagne. On broie châtaignes et pois chiches pour faire du pain. Les glands torréfiés remplacent le café. Pour se chauffer quand le charbon vient à manquer, on brûle les meubles. Le dégel ne commencera que le 26 février. Il faudra plusieurs semaines pour réparer les dégâts. Certains se révéleront plus tard, ainsi la destructio­n des pins maritimes dans les Maures et l’estérel, tués par une cochenille dont le prédateur naturel – une coccinelle – n’avait pas résisté au froid. Ainsi, février 1956 est devenu le mois le plus froid du XXE siècle. Pourtant, on a survécu... Et on notera, neuf mois plus tard, une nette augmentati­on des naissances.

Grimaud, coupé du monde, est ravitaillé par des sauveteurs à skis et à dos d’âne

Source : Observatio­ns générales sur la gelée de février 1956 dans les départemen­ts du Var et des Alpes-maritimes par Alfred Dugelay (Hal - archives ouvertes).

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(Photo Giletta) Cet hiver-là, la Promenade des Anglais avait des airs d’isola 2000.
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(Photo INA) Les serres n’ont pas survécu à la neige.
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(Photo N.-M./V.-M.) Toute la côte a vécu sous la neige pendant un mois.
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(Photo DR) Les mouettes étaient toutes étonnées de voirautant de neige sur la plage...

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