Le mal de Mai
Étrange pays que la France ces temps-ci ! Ce n’est pas une eau qui dort, comme en témoigne la démonstration de force des syndicats, avec une manifestation du
d’une puissance telle qu’elle place plus que jamais le pouvoir sur la défensive. Sans doute les Français vont-ils une fois encore retourner à leurs occupations quotidiennes, néanmoins ils ne cessent de signifier que plus rien aujourd’hui ne les convainc, traduction d’un désenchantement généralisé sur fond de « casserolades ». Naturellement, la responsabilité du chef de l’état est très grande dans cette situation, mais il est juste de dire aussi que ses racines plongent dans l’histoire même du pays. Dans Réformer la France, un essai aussi brillant que salutaire (Éditions Odile Jacob), Jean Peyrelevade, ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy en charge des questions économiques, puis président de plusieurs grandes banques, apporte la preuve accablante de l’incapacité chronique de la France à se réformer. Il y fait une démonstration historique implacable de l’inanité récurrente de nos gouvernants, incapables de concevoir « la mise en oeuvre de réformes économiques et sociales de grande ampleur tout en préservant les équilibres économiques indispensables à une action continue, inscrite dans le long terme ». Jean Peyrelevade fixe les origines du mal : le virage Montagnard de la Révolution en 1793. C’est alors, écrit-il, que « nous avons préféré collectivement l’utopie au principe de réalité. »
Ce choix fondateur fait que nous n’avons connu depuis plus de deux siècles que cinq parenthèses réformatrices significatives. La première, non démocratique, est signée Napoléon III, réhabilité pour ses réformes économiques et industrielles et ses quelques ouvertures sociales. Léon Blum inaugure, lui, le réformisme social sans pour autant respecter les équilibres économiques. Le Conseil National de la Résistance, sous l’égide du Général
de Gaulle, est sans doute la période la plus aboutie d’un réformisme conjuguant le politique, l’économique et le social.
Les débuts de la Ve République en portent également la marque mais avec un déficit sur le terrain social. Enfin, dernière parenthèse, dont Jean Peyrelevade a été un acteur majeur : le premier gouvernement Mauroy. Dans un récit édifiant, fourmillant de révélations, on découvre la détermination réformatrice de Matignon, défendue avec un immense talent politique par le Premier ministre, face aux délires économiques et budgétaires de l’élysée version mitterrandienne. « Nous pensions avoir gagné...», écrit Jean Peyrelevade pour aussitôt constater, preuves accablantes à l’appui, que les gouvernants de gauche et de droite, faute de vision et de méthode, n’ont depuis lors tiré aucune leçon de cette expérience. Le constat est hélas d’une criante actualité. Après six années de macronisme, déficits, dette, et dépenses publiques prospèrent tandis qu’un ras-lebol social de plus en plus préoccupant s’enracine dans le pays.
« Après six années de macronisme, déficits, dette, et dépenses publiques prospèrent »