Entre Paris et Rome, une brouille temporaire?
Les enjeux au niveau européen devraient pousser les deux pays à la surmonter. Mais l’exécutif français a, en même temps, intérêt à attaquer l’extrême droite.
Le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani, qui annule sa première visite en France et exige des excuses après ce « coup de poignard dans le dos » ; la venue de la Première ministre Giorgia Meloni, envisagée pour juin, qui semble finalement renvoyée à un horizon plus lointain… Alors que les diplomates de part et d’autre des Alpes travaillaient depuis des mois à rapprocher Paris et Rome – dont la relation, depuis l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Italie, avait d’emblée été entachée de tensions –, les propos du ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin
(1) vont-ils empoisonner durablement les relations entre les deux pays ? Pas forcément, selon des observateurs. « Tout le monde va rapidement rentrer dans le rang », estime ainsi Giuseppe Bettoni, professeur de géopolitique à l’université Tor Vergata de Rome. Côté italien, Giorgia Meloni n’a aucun intérêt à faire monter la pression, au moment où elle a fort à faire, sur le plan intérieur, pour gérer l’inflation et l’allocation des fonds du plan de relance européen. De plus, elle s’efforce d’apaiser les tensions au sein de sa propre majorité.
« Front commun » économique
Emmanuel Macron n’a, lui non plus, aucun intérêt à cette polémique, estime Giuseppe Bettoni. « C’est une affaire uniquement due à Darmanin. »
De fait, contrairement à la crise survenue en novembre dernier, lorsque le gouvernement Meloni, à peine au pouvoir, avait refusé de laisser accoster un navire humanitaire de « SOS Méditerranée », qui avait finalement été accueilli par la France, les membres du gouvernement français ont immédiatement joué la carte de l’apaisement avec Rome. Vendredi, c’est la Première ministre française, Élisabeth Borne, qui a elle-même tenté d’éteindre le feu en plaidant pour «un dialogue apaisé » et louant en l’italie « un partenaire essentiel de la France ».
« C’est un message fort », commente Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po. Ce spécialiste de l’italie s’attend, certes, à ce que les tensions restent vives « dans les mois et années à venir ». Mais les deux pays savent qu’ils doivent agir ensemble sur de multiples sujets, tels que la renégociation des critères économiques du pacte de stabilité européen, souligne-t-il. « Étant donné leur niveau d’endettement considérable, ils ont besoin de faire front commun par rapport à l’allemagne et aux pays dits “frugaux” » du nord de l’europe.
Les élections européennes en ligne de mire
« Ce n’est pas la première, ni la dernière crise », note également Matthieu Tardis, co-directeur de « Synergies migrations », un centre de recherches. Qui pointe, lui, la nécessité d’aboutir avant la fin de l’année à un « Pacte européen sur l’immigration ». Qui doit « démontrer à l’opinion publique que L’UE peut prendre des mesures et trouver un accord », même si c’est « a minima », et sauver les apparences avant les élections européennes de 2024, où une forte montée des partis d’extrême droite est redoutée. Reste que, côté français, vient interférer la volonté de l’exécutif de ne pas ménager une Première ministre d’extrême droite au moment où Marine Le Pen fait la course en tête dans les sondages en France. Stéphane Séjourné, le chef du parti présidentiel « Renaissance » et proche d’emmanuel Macron, a ainsi estimé que Gérald Darmanin avait « eu raison de dénoncer l’incompétence et l’impuissance de l’extrême droite européenne face à l’immigration clandestine ». « Nous savions que leur approche n’était ni juste ni humaine : on constate aujourd’hui qu’elle est aussi inefficace », a-t-il taclé. 1. Jeudi, il a estimé, dans Les Grandes Gueules sur RMC, que Giorgia Meloni était « incapable de régler les problèmes migratoires, sur lesquels elle a été élue ».