Roschdy Zem « ON N’EST PAS OBLIGÉ DE SE DONNER EN SPECTACLE »
Sous la direction de Chad Chenouga, le comédien est un « Principal » solitaire, replié sur lui-même et sous pression. Une prestation sobre et impeccable.
Quelle a été l’élément clé qui vous a fait accepter d’incarner Sabri, ce “Principal”, qui semble d’une intégrité à toute épreuve ?
J’ai la volonté d’explorer des personnages très différents et les ambiguïtés de Sabri m’ont semblé intéressantes. Il y a d’un côté son paraître et de l’autre ce qu’il ressent au plus profond de lui. Il est “border”. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on vit en direct, on montre sa colère, sa joie, sa vie… Or, là, je joue quelqu’un qui cache ses émotions. Il a une pudeur qui n’existe plus. Cela me touche beaucoup.
Cette pudeur, c’est vous ?
On n’est pas obligé de se donner en spectacle. Mon métier est public, pas moi. Je fais le distinguo. Il y a une forme de schizophrénie quand on est acteur et je suis conscient du dédoublement. C’est comme ça que je trouve mon harmonie, mon équilibre. Je ne suis pas un personnage public. Si vous me cherchez sur les réseaux sociaux, vous ne me trouverez pas. J’essaie d’être un quidam et de faire mon travail le mieux possible, et j’espère n’être reconnu qu’à travers lui.
Comment avez-vous abordé toutes les nuances de Sabri ?
Il me fallait appréhender un personnage rigide. Il a une philosophie de vie étroite, avec beaucoup de rigueur. Il laisse peu de place pour le plaisir et il a la volonté de représenter un modèle de réussite.
Ces traits de caractère ne me ressemblent pas et j’avais donc besoin de les comprendre pour les jouer.
J’en ai parlé avec une psychologue qui m’a donné sa propre interprétation de cette psychologie car, évidemment, il n’y a pas une seule réponse. Cela m’a donné des pistes.
Le sérieux est une qualité que l’on rattache à votre travail d’acteur. Vous étiez donc en territoire familier d’une certaine manière ?
Je prends beaucoup de plaisir dans ce sérieux. Comme j’ai la chance de faire un métier qui me passionne, je le fais consciencieusement.
Le principal n’est pas un personnage qu’on voit souvent au cinéma, les films sur l’école ont, en effet, tendance à montrer des interactions entre professeurs et élèves alors qu’ici Sabri est esseulé à l’écran…
On a tous une idée de ce qu’est un principal parce qu’on en a tous rencontré à l’école. Il incarne une autorité et c’est ainsi qu’il faut le jouer. À ce détail près que Sabri est rejeté par tous… y compris par les professeurs. Il a un statut ingrat. Dans sa vie, il y a peu de place pour l’amitié, l’échange, le partage… Il s’agissait donc de jouer sa solitude. Et comme il est isolé, son entourage proche finit par s’écarter de lui. Ses proches n’ont pas envie d’être happés par cette spirale destructrice.
Justement pour jouer la solitude… on s’isole soi-même ?
À partir du moment où vous composez un personnage si rigoriste qu’il provoque une forme de rejet, cela se fait naturellement. Comme nous avons tourné en plein confinement, on éprouvait tous ce sentiment de solitude ! Il était là, présent en nous. Ce n’était pas un tournage comme un autre ou on se retrouve après les prises. Là, on rentrait tous chez soi. Et par rapport à ce personnage, cela s’est avéré finalement très utile. C’était un plus dont je me serais cependant bien passé !
Interpréter un homme tout en intériorité est il plus délicat que de pouvoir s’appuyer sur des dialogues ?
Je ne me pose jamais la question de savoir si c’est facile ou pas, et je m’autorise même l’échec. Il ne faut en effet pas avoir peur d’échouer quand on décide de jouer un personnage qui a peu de mots ou peu d’expressions pour rendre compte de ses émotions. La clé, c’est faire confiance à ce “peu”. Il est plein d’intensité et le spectateur y décèle des choses grâce à son imaginaire. L’essentiel est d’être suffisamment en confiance pour se dire que chacun se fera sa propre lecture. En revanche, si vous jouez de façon ostentatoire, vous imposez une proposition et le public ne peut plus se projeter. Le jeu sobre et épuré permet donc une forme d’interaction.
« J’ai pris plaisir à jouer, derrière sa carapace, cette volonté de sauver quelques gosses »
Votre propre parcours scolaire vous a servi pour appréhender ce rôle ?
Mon expérience de l’école m’a confronté à cette représentation de l’autorité, à ce principal ou ce proviseur qui ne provoquait que crainte et appréhension. Je n’ai pas vécu, en revanche, ce moment que l’on voit dans le film, où Sabri tend la main à un enfant, essaie de le rattraper en mettant en avant son potentiel, ses capacités, son intelligence. J’aurais aimé rencontrer une telle personne. J’ai pris plaisir à jouer, derrière sa carapace, cette volonté d’essayer de sauver quelques gosses. Il sent qu’il peut aider.