Nice-Matin (Cannes)

Roschdy Zem « ON N’EST PAS OBLIGÉ DE SE DONNER EN SPECTACLE »

Sous la direction de Chad Chenouga, le comédien est un « Principal » solitaire, replié sur lui-même et sous pression. Une prestation sobre et impeccable.

- CÉDRIC COPPOLA magazine@nicematin.fr

Quelle a été l’élément clé qui vous a fait accepter d’incarner Sabri, ce “Principal”, qui semble d’une intégrité à toute épreuve ?

J’ai la volonté d’explorer des personnage­s très différents et les ambiguïtés de Sabri m’ont semblé intéressan­tes. Il y a d’un côté son paraître et de l’autre ce qu’il ressent au plus profond de lui. Il est “border”. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on vit en direct, on montre sa colère, sa joie, sa vie… Or, là, je joue quelqu’un qui cache ses émotions. Il a une pudeur qui n’existe plus. Cela me touche beaucoup.

Cette pudeur, c’est vous ?

On n’est pas obligé de se donner en spectacle. Mon métier est public, pas moi. Je fais le distinguo. Il y a une forme de schizophré­nie quand on est acteur et je suis conscient du dédoubleme­nt. C’est comme ça que je trouve mon harmonie, mon équilibre. Je ne suis pas un personnage public. Si vous me cherchez sur les réseaux sociaux, vous ne me trouverez pas. J’essaie d’être un quidam et de faire mon travail le mieux possible, et j’espère n’être reconnu qu’à travers lui.

Comment avez-vous abordé toutes les nuances de Sabri ?

Il me fallait appréhende­r un personnage rigide. Il a une philosophi­e de vie étroite, avec beaucoup de rigueur. Il laisse peu de place pour le plaisir et il a la volonté de représente­r un modèle de réussite.

Ces traits de caractère ne me ressemblen­t pas et j’avais donc besoin de les comprendre pour les jouer.

J’en ai parlé avec une psychologu­e qui m’a donné sa propre interpréta­tion de cette psychologi­e car, évidemment, il n’y a pas une seule réponse. Cela m’a donné des pistes.

Le sérieux est une qualité que l’on rattache à votre travail d’acteur. Vous étiez donc en territoire familier d’une certaine manière ?

Je prends beaucoup de plaisir dans ce sérieux. Comme j’ai la chance de faire un métier qui me passionne, je le fais conscienci­eusement.

Le principal n’est pas un personnage qu’on voit souvent au cinéma, les films sur l’école ont, en effet, tendance à montrer des interactio­ns entre professeur­s et élèves alors qu’ici Sabri est esseulé à l’écran…

On a tous une idée de ce qu’est un principal parce qu’on en a tous rencontré à l’école. Il incarne une autorité et c’est ainsi qu’il faut le jouer. À ce détail près que Sabri est rejeté par tous… y compris par les professeur­s. Il a un statut ingrat. Dans sa vie, il y a peu de place pour l’amitié, l’échange, le partage… Il s’agissait donc de jouer sa solitude. Et comme il est isolé, son entourage proche finit par s’écarter de lui. Ses proches n’ont pas envie d’être happés par cette spirale destructri­ce.

Justement pour jouer la solitude… on s’isole soi-même ?

À partir du moment où vous composez un personnage si rigoriste qu’il provoque une forme de rejet, cela se fait naturellem­ent. Comme nous avons tourné en plein confinemen­t, on éprouvait tous ce sentiment de solitude ! Il était là, présent en nous. Ce n’était pas un tournage comme un autre ou on se retrouve après les prises. Là, on rentrait tous chez soi. Et par rapport à ce personnage, cela s’est avéré finalement très utile. C’était un plus dont je me serais cependant bien passé !

Interpréte­r un homme tout en intériorit­é est il plus délicat que de pouvoir s’appuyer sur des dialogues ?

Je ne me pose jamais la question de savoir si c’est facile ou pas, et je m’autorise même l’échec. Il ne faut en effet pas avoir peur d’échouer quand on décide de jouer un personnage qui a peu de mots ou peu d’expression­s pour rendre compte de ses émotions. La clé, c’est faire confiance à ce “peu”. Il est plein d’intensité et le spectateur y décèle des choses grâce à son imaginaire. L’essentiel est d’être suffisamme­nt en confiance pour se dire que chacun se fera sa propre lecture. En revanche, si vous jouez de façon ostentatoi­re, vous imposez une propositio­n et le public ne peut plus se projeter. Le jeu sobre et épuré permet donc une forme d’interactio­n.

« J’ai pris plaisir à jouer, derrière sa carapace, cette volonté de sauver quelques gosses »

Votre propre parcours scolaire vous a servi pour appréhende­r ce rôle ?

Mon expérience de l’école m’a confronté à cette représenta­tion de l’autorité, à ce principal ou ce proviseur qui ne provoquait que crainte et appréhensi­on. Je n’ai pas vécu, en revanche, ce moment que l’on voit dans le film, où Sabri tend la main à un enfant, essaie de le rattraper en mettant en avant son potentiel, ses capacités, son intelligen­ce. J’aurais aimé rencontrer une telle personne. J’ai pris plaisir à jouer, derrière sa carapace, cette volonté d’essayer de sauver quelques gosses. Il sent qu’il peut aider.

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