Un tournant au niveau du droit, mais des avancées fragiles
Face à ces chiffres, peut-on dire que la société française a profondément changé durant cette décennie ? L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe at-elle marqué un tournant pour les droits LGBTI ? « Cela a participé
(1) au fait de légitimer l’homosexualité et d’autres catégories de la population au niveau du droit », relève Sophie Paricard, professeure de droit à l’institut national universitaire d’albi, spécialiste de ces questions : « En 2016, les personnes souhaitant changer de genre au niveau administratif bénéficient d’une nouvelle procédure de changement d’état civil. Je pense aussi à l’interdiction des thérapies de conversion en 2022. » Concernant les foyers français, le schéma type n’est plus l’unique modèle existant aux yeux du législateur. Si selon l’association des familles homoparentales (ADFH), 250 000 enfants vivent en France avec un parent homosexuel, la filiation génère encore de la crispation selon les situations. Concernant l’adoption, la loi du 21 février 2022 n’oblige plus les couples à se marier (2). Depuis la loi « PMA pour toutes » – dont l’appellation a été décriée – le double lien maternel a été instauré avec la reconnaissance conjointe pour les PMA (procréation médicalement assistée) à l’étranger des trois dernières années.
La GPA, sujet très clivant
Troisième option, très sensible dans l’opinion publique : la gestation pour autrui (GPA). Interdite en France par la loi du 29 juillet 1994, cette technique de procréation par « mère porteuse » n’est pas taboue partout – on se souvient notamment du footballeur Cristiano Ronaldo et de ses trois fils issus de GPA. Ainsi, des sites Internet francophones proposent directement aux couples de « créer des familles avec soin » selon leur formule. Mexique, Canada, Russie, États-unis ou encore Ukraine sont les pays présentés comme des portes ouvertes pour les personnes ayant recours à ce procédé. Au-delà de son caractère onéreux (les spécialistes annoncent entre 26 000 et 80 000 euros dans les pays de l’est, 80 000 à 240 000 euros outre-atlantique), la question éthique enflamme les débats. Pour l’association « CQFD Lesbiennes féministes », pas question de marchandiser le corps de la femme. Selon le « Collectif pour le respect de la personne », « la GPA efface la biologie des femmes ». Un refus catégorique appuyé par la loi sur la bioéthique de 2021 qui a maintenu son interdiction.
« Rien n’est acquis »
Mais qu’en est-il des avancées concernant les droits LGBTI dans les années à venir ? Face à ces interrogations, la spécialiste du droit Sophie Paricard préfère rester prudente : « On le voit bien avec d’autres pays européens qui reculent sur les droits des minorités et des femmes. Je pense notamment à la Pologne pour L’IVG. Il faut garder à l’esprit que rien n’est acquis. » Éminemment politique, la structure de la famille et son devenir divisent les élus.
« Soyons clairs, il n’y a qu’à gauche que l’on peut nous entendre. Mais je redoute vraiment les prochaines élections présidentielles. Ou même une dissolution de l’assemblée nationale avant… », confie l’activiste Niléane Dorffer, en soupirant : « Tout peut basculer du jour au lendemain. »
Violences en hausse
De quoi alimenter haine et violence ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2013, année du vote du Mariage pour tous, « SOS
Homophobie » a enregistré un pic de +78 % des cas d’actes Lgbtiphobes. Hausse également confirmée par le ministère de l’intérieur. Une courbe qui reste sur une pente ascendante : en cinq ans, les actes ANTI-LGBTI recensés ont doublé en France (2016-2021).
Pas de quoi célébrer les dix ans du mariage pour tous en trinquant. Pour Jena Selle, consultante, la violence est alimentée par le discours de certaines sensibilités politiques : « Le problème, c’est de voir relayées ces positions sur les réseaux sociaux, dans de grands médias. L’homophobie et la transphobie ne sont pas des opinions, c’est important de le rappeler. »
1. Acronyme désignant les lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes. On parle également de LGBTQIA + pour ne pas oublier les personnes queer, asexuelle, aromantique et autres.
2. Dans le même temps, elle a abaissé l’âge légal et la durée de la communauté de vie.