Nice-Matin (Cannes)

Eric et Fernand-marc : « Nous étions légitimes »

Unis à la mairie de Nice le 15 juin 2013, quelques semaines après la promulgati­on de la loi sur le Mariage pour tous, les deux hommes reviennent sur leur parcours et leur amour, dix ans plus tard.

- FÉLICIEN CASSAN fcassan@nicematin.fr

Comment être, sans même le vouloir, un exemple pour les génération­s qui vous succèdent, tout en récusant tout militantis­me et en vivant une existence « normale » ? Simple mais courageux : en brisant une à une les barrières sociétales de son pays et en devenant l’un des premiers couples gays français à se pacser, puis à se marier. Historique. En l’occurrence, Eric Adam et Fernand-marc Narducci se sont unis le 15 juin 2013 à la mairie de Nice devant Christian Estrosi, peu de temps après que la loi du 17 mai sur le mariage pour tous fut promulguée, ouvrant ce type d’union civile à tous les couples. Des voeux échangés et un livret de famille qui venaient sceller 34 ans d’amour entre ces deux fringants jeunes retraités, aujourd’hui âgés de 66 et 67 ans… et plus complices que jamais.

« Petits » combats

Dix ans plus tard, vivant désormais entre les Alpes-maritimes et l’alsace, ils nous ont d’abord reçus en appel visio dans leur maison du nord-est, puis dans le Vieux-nice pour une séance photo.

« Nous avons toujours trouvé injuste de ne pas bénéficier des mêmes droits que les personnes hétérosexu­elles », explique d’abord Eric, depuis son canapé. « De fait, dès qu’une nouvelle loi passait en France, on en profitait très rapidement, on s’engouffrai­t vite.

Pas pour entrer dans une sorte de compétitio­n et être les premiers partout, ni pour faire le buzz, mais pour rattraper le retard. On n’a jamais été militants, mais notre histoire a tout de même du poids », résume-t-il. Comment, en effet, ne pas s’incliner devant le précieux legs que cette génération de personnes homosexuel­les laissera à ses « enfants » ? Des épreuves passées et des jalons posés pour que leurs concitoyen­s voient leurs existences facilitées. La grande Histoire est ainsi faite de « petits » combats. Si les deux hommes n’étaient que trop au courant desdits combats, s’étant découverts homosexuel­s dans leurs jeunes années, entre 1960 et 1970, leur histoire a démarré comme toute autre romance. « C’était dans une soirée parisienne. Au bout de deux heures au cours desquelles nous n’avions pas arrêté de nous regarder, Eric m’a dit bonsoir, et c’est comme ça que tout a commencé », explique en souriant Fernand-marc. « Cela s’est très bien passé avec nos familles. Nous n’avons pas eu besoin de dire que nous étions homosexuel­s, nous leur rendions visite ensemble et ça a toujours été compris ».

Très naturelle, cette acceptatio­n a fait d’eux un couple très attaché à leurs liens de sang. « Nous sommes désormais entourés de neveux et de nièces qui connaissen­t Eric depuis qu’ils sont nés », précise Fernandmar­c. Malgré tout, pensaient-ils, à la fin des années 70, pouvoir se marier un jour ? « Non, à l’époque, personne n’osait même évoquer le sujet. » Avec un frère curé à Nice, de la famille à Antibes et de fréquentes vacances à Cannes, Eric connaissai­t très bien notre région. En 2000, après une partie de leur carrière à Paris, le couple décide donc de venir s’installer dans les Alpes-maritimes. Avant d’en faire leur maison à mi-temps, depuis la retraite, il y a quelques années. À Nice, ils vivent dans le quartier historique russe du Piol. « Mais nous sommes en train de changer de vie, et de passer de plus en plus de temps en Alsace, près des miens », ajoute Fernand-marc. « Ceci dit, tous nos amis sont à Nice », précise Eric. Il est important d’ajouter qu’après l’an 2000, MM. Adam et Narducci ont effectué une partie de leur carrière à la mairie de Nice, l’un au service des ressources humaines et l’autre au service informatiq­ue. « En 2013, je savais que le maire de la

Ville était ouvert à ces questions-là, Maty Diouf s’occupait déjà de lutte contre les discrimina­tions et les inégalités (adjointe au maire de Nice, elle est chargée de la lutte contre les discrimina­tions, du droit des femmes, des solidarité­s internatio­nales et de l’action humanitair­e, Ndlr). J’ai donc demandé à M. Estrosi de nous marier. Cela nous a permis de formaliser le projet rapidement. »

« Quitte à se marier, autant être les premiers », abonde Eric, que l’esprit malicieux pousse à ajouter : « Puisqu’il y avait à l’époque, dans les rues, plein de cons qui étaient contre le mariage pour tous, on s’est dit : on va y aller à fond. Ce n’était pas un acte militant, mais on s’est toujours trouvé totalement légitimes. Après 33 ans de vie commune, on avait quand même le droit de se marier, non ? » « Nous n’avons jamais remis en cause le mariage hétéro, nous n’avons détruit aucune famille. Ces polémiques nous réduisaien­t à ce que nous ne sommes pas. » Mais au fait, Nissa la Bella est-elle aussi ouverte d’esprit qu’on le dit sur ces sujets ? « Nous n’avons jamais ressenti aucun problème par rapport à notre homosexual­ité à Nice », répondent-ils en choeur. Les deux hommes trouvent la ville ouverte et vibrante. Tout en reconnaiss­ant ne pas avoir beaucoup d’amis gays et être « hors milieu ». «Ona connu une vie gay quand on était jeunes, puis on a vieilli ». S’ils intéressen­t aux nouvelles problémati­ques sociétales liées à la sexualité et au genre (transgenri­sme, questions sur la binarité, etc.), on sent bien que les lettres qui succèdent au fameux acronyme LGBT sont des territoire­s encore flous pour leur génération. « C’est un peu compliqué, j’ai du mal à m’y reconnaîtr­e, mais je lis et j’écoute ce qui se passe », dit Fernand-marc, qui assume son âge.

À l’époque, personne n’osait parler d’homosexual­ité”

Un amour intact

La vie des deux amoureux est désormais consacrée à la marche en montagne et au ski, à quelques cours d’informatiq­ue dans une paroisse, et à la rénovation de leur maison. « On voyage, on s’occupe de notre jardin et de notre famille », répètent-ils une nouvelle fois, pour montrer à quel point elle est importante pour eux. « Les familles sont multiples, le paysage est beaucoup plus divers qu’on ne le pense. » Dix ans après leur mariage, l’amour est intact. Et les luttes du passé se sont transformé­es en vie « normale » et heureuse.

On a connu une vie gay… puis on a vieilli”

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(Photo Frantz Bouton) Eric Adam et Fernand-marc Narducci sont aujourd’hui âgés de 66 et 67 ans, et plus complices que jamais.

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