Les zones d’ombre du lynchage de L’escarène
Sept mois après la mort de Jérémy Dasylva, tabassé dans le village après un cambriolage présumé, deux suspects sur les cinq restent en détention. Et les spéculations vont bon train.
L’affaire continue de véhiculer son lot de fantasmes, d’interprétations. Et de propager des rumeurs, plus folles les unes que les autres. Chacun croit connaître le scénario du drame qui s’est joué, ce soir-là, dans l’obscurité de ce village encaissé de la vallée du Paillon. Mais le sujet reste tabou. La déferlante médiatique a laissé des traces. Sept mois après, la mort de Jérémy Dasylva est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Mais que s’est-il réellement passé le 12 octobre dans les ruelles sombres de L’escarène ? « On n’en parle pas, c’est vieux. On est passé à autre chose. Les médias nous ont fait passer pour des dégénérés. Ça a fait du mal au village », souffle un vieux monsieur installé à la boulangerie pour le café du matin. Le bar PMU a fermé ses portes depuis quelques mois : « Ce n’est pas en parlant comme on l’a fait du village que ça va donner envie à des gens de venir s’y installer », grogne-t-il avant de se lever et de tourner les talons. À côté de la supérette, une septuagénaire siffle : « Ça ne va pas recommencer, les journalistes ! Il n’y a pas des choses plus importantes à raconter ? » Près du parking, un élu municipal s’affaire à sa rôtisserie ambulante. « Les médias n’ont parlé que de ça alors qu’il y avait deux morts à Nice, ils n’en ont pas parlé. Il y a des choses plus graves en ce moment comme la sécheresse », glisse-t-il.
« Ça a fait beaucoup de mal, cette affaire »
« C’est pas si clair que ça, cette histoire », croit savoir une mère de famille installée près de l’église. « Ceux qui ont soi-disant frappé le type ont été relâchés. Ils ne les auraient pas remis dehors s’ils étaient coupables », lance-t-elle, sûre de son coup. « À la mairie, ils disent bien que l’affaire n’est pas si claire que ça », répète la trentenaire. Le 13 décembre, trois individus sont interpellés : deux dans les Alpes-maritimes, le troisième vers Perpignan. Deux jours plus tard, ce sont deux autres suspects qui sont cueillis par les gendarmes. Mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », tous les cinq sont placés en détention provisoire. Aujourd’hui, il n’en reste plus que deux derrière les barreaux, confirme le procureur de la République
de Nice, Xavier Bonhomme. Un troisième a été libéré sous contrôle judiciaire. Les deux derniers sont sortis de prison sous surveillance électronique, révèle encore le procureur. « Ça a fait beaucoup de mal, cette affaire, la famille de l’un d’eux a déménagé. Leur vie est fichue, ils étaient tout le temps montrés du doigt par les journalistes », grince la mère de famille. C’est le 12 octobre que Jérémy Dasylva est passé à tabac dans le village où ce père de famille de 39 ans habitait depuis quelques mois avec Olivia, sa compagne, Escarénoise depuis 20 ans. Il décédera de ses blessures deux jours plus tard à l’hôpital Pasteur 2. « Un choc septique consécutif à une perforation de l’intestin grêle, résultant ellemême d’un choc traumatique à l’abdomen », indiquait le parquet de Nice en décembre dernier. Les circonstances du drame restent floues. « Quelqu’un a crié qu’il y avait eu un cambriolage, après on a entendu du bruit. Puis plus rien. Et puis il y a eu les gendarmes, la police, et encore des gens qui criaient », lâche un voisin de Muguette, qui était devant la télé ce soir-là. « C’était le journal de 20 heures », dit-il. Muguette a effectivement crié ce soir-là et alerté les voisins. La retraitée de 66 ans était seule dans son appartement situé sur l’ancienne route de Lucéram. Elle jure avoir aperçu une ombre dans son salon. Et jure que sa carte bancaire et 45 euros posés sur sa table ont disparu. En quelques minutes, l’affaire Dasylva se noue : Jérémy est montré du doigt comme le possible cambrioleur. Il est alors poursuivi par plusieurs personnes, dont une avec deux staffs qui le mordront à plusieurs reprises. La chasse à l’homme à travers le village se termine non loin du domicile de la retraitée par l’intervention des secours. « Il hurlait, tellement il avait mal », se souvient le voisin de Muguette.
« C’était tellement le bordel, ce soir-là... »
Sur son lit d’hôpital, le jeune homme, avant de décéder, n’a cessé de nier être impliqué dans ce cambriolage. Muguette, qui avait identifié Jérémy comme son voleur, n’en sera, plus tard, plus très certaine.
Ni la carte bancaire ni le liquide n’ont été retrouvés. Envolés, comme le sac à dos de Jérémy...
« Ça ne veut rien dire, c’était tellement le bordel ce soir-là... Quelqu’un en a peut-être profité pour piquer toutes ses affaires », insiste une dame qui soupçonne une « affaire » derrière l’affaire.
Les proches de la victime veulent que toute la lumière soit faite et que les responsabilités soient établies : « Jérémy a eu le malheur d’être un étranger dans un village très fermé sur lui-même. »
Le coupable rêvé, victime de l’instinct grégaire de villageois galvanisés par l’effet de meute ?