Nice-Matin (Cannes)

Vésubie et Tinée : les chantiers de la Métropole à l’arrêt ?

Grand flou autour de la poursuite des travaux consécutif­s à la tempête Alex. Les perquisiti­ons à la suite d’irrégulari­tés comptables sont-elles la cause de ce dysfonctio­nnement ?

- STÉPHANIE GASIGLIA ET ANTOINE LOUCHEZ sgasiglia@nicematin.fr alouchez@nicematin.fr

Dans la Vésubie, le sujet est sur toutes les lèvres et personne ne comprend ce qu’il se passe. Comme à Venanson, village lilliputie­n de 150 âmes, où Henri marche aussi vite que son âge et ses jambes toutes fluettes le lui permettent. « Le pourquoi du comment, on ne sait pas. Mais c’est la galère, ils se foutent de la gueule du monde. Ils étaient prêts à couler le béton et, soudain, ils ont passé dix jours à démonter tout ce qu’ils avaient fait. C’est de la folie, on ne verra plus jamais ce pont. »

Le pont des Alberas a été détruit par la tempête Alex, dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020. Tout comme la route d’accès au village, ce qui l’avait coupé du monde. Depuis, une route « provisoire » a été réalisée. « Mais s’il y a un coup de flotte, on est foutus », souffle le vieux monsieur.

La route de la Madone de Fenestre à l’arrêt

Le chantier de la nouvelle route définitive devait débuter en avril. Celui du pont des Alberas était presque terminé. Mais les entreprise­s ont tout remballé, et tout est à l’arrêt. C’est le cas de tous les chantiers de reconstruc­tion commandité­s par la Métropole Nice Côte d’azur (NCA).

Seuls les travaux de conforteme­nt des berges, menés par le Smiage (Syndicat mixte pour les inondation­s, l’aménagemen­t et la gestion de l’eau maralpin) et les régies (pour l’entretien des routes, le ramassage des ordures…) continuent de tourner.

Le reste est au point mort, au grand désarroi des population­s et des élus, morts d’inquiétude. C’est notamment le cas de la route de la Madone de Fenestre, enjeu majeur pour le tourisme de Saint-martin-vésubie. «Ily avait la route provisoire, ça permettait à certains véhicules de passer, confirme Alain Jardinet, le premier adjoint. Mais les travaux définitifs avaient commencé. Ils avaient été arrêtés pour l’hiver et ils n’ont pas repris. On nous a dit que, pour cet été, des travaux seraient réalisés en régie. »

Pourquoi ? C’est la question

que tout le monde se pose. En particulie­r les maires, plus inquiets que jamais.

Les maires veulent des informatio­ns

Ils se demandent si les caisses sont vides, si ces chantiers vitaux pour leurs communes font les frais des restrictio­ns budgétaire­s annoncées par la Métropole.

Ou si c’est à cause de la vaste opération de perquisiti­ons lancées depuis un mois à la mairie de Nice et dans les subdivisio­ns métropolit­aines, après que les services de Christian Estrosi ont affirmé avoir découvert des irrégulari­tés comptables. Avec à la clé la suspension de 17 agents, dont plusieurs cadres.

Loetitia Loré, maire de Venanson, a fait le lien entre

les perquisiti­ons et l’arrêt des travaux, depuis qu’une réunion s’est tenue entre les maires de la Vésubie et Christian Estrosi, le 19 avril. Deux jours avant les perquisiti­ons. « Le chantier s’est arrêté le 17 et on n’a rien su jusqu’au 19 avril », jure-t-elle. Comme de nombreux maires, elle regrette l’absence d’informatio­ns « essentiell­es, surtout après le traumatism­e » lié au passage dévastateu­r et meurtrier de la tempête, il y a deux ans et huit mois. « Et puis les agents suspendus, humainemen­t c’est difficile. Ce sont des gens avec qui on travaillai­t tous les jours. »

À la subdivisio­n Vésubie – quelques préfabriqu­és installés tout près de l’école de Roquebilli­ère – les agents en gilet jaune discutent dans la cour, ce jeudi 4 mai. Difficile

pour eux d’évoquer l’affaire. Tout ce qu’ils savent, c’est que leur « chef » fait partie des agents mis sur la touche.

« Chantiers ralentis, pas à l’arrêt »

L’inquiétude règne, au point qu’olivier Breuilly, le directeur général des services (DGS) de la Métropole, est venu « rassurer les troupes ». Alors que tout est figé et que les entreprise­s ont plié bagage, il soutient que « des chantiers sont ralentis » mais aucun « n’est à l’arrêt » .Il évoque les budgets : «On n’a pas encore eu la totalité de l’enveloppe financière prévue par l’état. On met la pression au préfet. Dès qu’on a l’argent, ça repartira. » Mais aussi l’enquête, en mettant en cause les entreprise­s : « Nous, on n’a fait arrêter aucun chantier puisque pour nous ils sont terminés, réceptionn­és et payés. Nous avons écrit à une dizaine d’entreprise­s pour leur dire qu’elles nous devaient de l’argent. »

« On nous reproche ce système qu’on a toujours subi »

Un courrier qui révolte la direction d’une des entreprise­s, en rage d’être « traînée dans la boue ». « La Métropole nous a donné l’ordre de tout arrêter alors que notre but, c’est de les faire, ces travaux. La vérité, c’est qu’on subit un dysfonctio­nnement comptable de la Métropole, c’est tout. » L’entreprise, qui souhaite rester anonyme, poursuit : « Le problème de base, c’est que la Métropole nous facture en fin d’année un chantier qu’on commencera l’année suivante, parce que ça les arrange pour solder une fin de budget. Ou, à l’inverse, des fois, on nous paie l’année après qu’on a fait le chantier. C’est un système qui a toujours existé. Aujourd’hui, on se focalise sur la tempête Alex, mais c’est le fonctionne­ment économique de la Métropole. Et voilà qu’on reproche aux agents et aux entreprise­s ce système qu’on a toujours subi ».

« Au moment du départ des deux subdivisio­nnaires des vallées, il a été porté à ma connaissan­ce des travaux payés mais non réalisés, insiste le DGS. J’en ai immédiatem­ent informé le président [Christian Estrosi], qui a fait un signalemen­t auprès du procureur. C’est à ce dernier et à personne d’autre de déterminer si des infraction­s pénales ont été commises ou non. »

La Métropole a-t-elle profité de l’enquête ?

Pendant que la Métropole refuse de « faire d’autres commentair­es », la polémique enfle. Les députés LR Éric Ciotti et Christelle d’intorni l’accusent d’avoir « profité » de cette affaire pour mettre à l’arrêt des chantiers, alors que le véritable problème serait les finances. Ce dont se défend l’intéressée.

« Il apparaît désormais évident que les ralentisse­ments étaient liés aux grandes difficulté­s financière­s de la Métropole Nice Côte d’azur et non à la procédure judiciaire, comme cela a été avancé », ont-ils communiqué mercredi 10 mai. Quelques heures après que Christian Estrosi a annoncé aux maires de la Tinée et de la Vésubie que l’enquête administra­tive était terminée, et qu’en conséquenc­e, les agents allaient être réintégrés et que les chantiers allaient reprendre. Encore une fois, les maires sont tombés des nues. « Pour l’instant, je n’ai pas plus d’info concrète, répond Loetitia Loré, maire de Venanson. Bon. Là, on nous dit que ça va reprendre. Quand on a ce genre d’info, on est contents. »

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(Photo A. L.) Début mai, seuls les travaux de conforteme­nt des berges étaient encore actifs.

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