Nice-Matin (Cannes)

Saviez-vous que Jean Moulin

A ÉTÉ GALERISTE À NICE ?

- ANDRÉ PEYREGNE magazine@nicematin.fr

DJean Moulin.

ans la nuit du 1er au 2 janvier 1942, Jean Moulin fut parachuté dans les Alpilles, muni d’un matériel radio qui lui permettait d’être en communicat­ion avec le général de Gaulle à Londres. De son lieu de parachutag­e, il parvint à regagner sa maison de Saint-andiol, au sud d’avignon. Il put alors organiser la Résistance dans le sud de la France sous le pseudonyme de Rex. À Marseille, il rencontre Henri Frenay, puis Raymond Aubrac à Lyon. Il se fait seconder par Daniel Cordier, marchand d’art et historien (mort centenaire, en 2020, à Cannes) et par la Niçoise Colette Pons, experte en peinture. Avec elle, il va créer une galerie à Nice qui lui servira de planque.

Faux passeport à Grasse

(DR)

Jean Moulin connaît la Côte d’azur. Ainsi que le raconte Jean-louis Panicacci, spécialist­e de la Seconde Guerre mondiale dans les Alpesmarit­imes, c’est à la sous-préfecture de Grasse, qu’en février 1941, il a obtenu un faux passeport au nom de Joseph Mercier (mêmes initiales que Jean Moulin), prétendume­nt professeur à l’institut internatio­nal de New York. Portant moustaches et lunettes, Jean Moulin gagna ensuite Lisbonne puis Londres à la fin de l’année 1941 où il rencontre le général de Gaulle, à qui il fait un compte rendu de l’état de la Résistance en France et de ses besoins.

C’est au 22 de la rue de France à Nice que Jean Moulin prit possession d’un ancien magasin de bouquinist­e pour y installer sa galerie d’art. Il signe une promesse de bail le 12 octobre 1942 et, le 16, sollicite le préfet des Alpes-maritimes pour ouvrir une « galerie d’exposition et de vente de peintures, dessins et sculptures modernes… »

Il n’y a alors, à Nice, aucune autre galerie spécialisé­e en art moderne. Il reprend le nom de Romanin sous lequel, adolescent, il produisait des dessins et des aquarelles. En devenant directeur d’une galerie d’art, il pourra justifier des déplacemen­ts à travers la France pour rencontrer des peintres et des collection­neurs, acheter ou vendre des tableaux.

Sa demande une fois agréée par la Préfecture, le local est aménagé par le décorateur niçois Jean Cassarini, ami de Matisse et de Colette Pons.

La Galerie Romanin ouverte le 9 février 1943

Jean Moulin va exposer sa propre collection d’oeuvres modernes. Il fait venir, en outre, quelques toiles de la galerie Pétridès de Paris et sollicite des artistes et marchands réfugiés en Provence. Colette Pons et Jean Moulin font également appel à Henri Matisse qui vit alors au 1 cours Saleya à Nice et Pierre Bonnard, qui habite dans une villa au Cannet.

L’ouverture de la galerie a lieu le 9 février 1943. La première exposition intitulée « Maîtres modernes » réunit des oeuvres de Bonnard,

Héros de la Seconde Guerre mondiale, Jean Moulin avait ouvert en 1943 une galerie d’art à Nice, avec la complicité de Colette Pons, qui cachait une planque de résistants.

Chirico, Degas, Dufy, Friesz, Kisling, Rouault, Utrillo et Suzanne Valadon.

Lors du vernissage, on se pressa dans le petit local. Parmi les invités, il y avait « ceux qui savaient » (qui connaissai­ent les activités clandestin­es de Jean Moulin). Et les autres. Du beau monde était là, dont le secrétaire général de la préfecture, Clément Vasserot, futur préfet maquisard de la Creuse. Des artistes se mirent à fréquenter la galerie : Jacques Prévert, Aimé Maeght, Django Reinhardt...

« Vendez comme prévu »

Au-dessus de la galerie, l’appartemen­t servait de planque aux activités clandestin­es du délégué du général de Gaulle et chef des Mouvements unis de la Résistance (Mur). La galerie et l’appartemen­t comportaie­nt plusieurs issues. Jean Moulin y venait tous les mois. Les agents de liaison de la France libre s’y glissaient clandestin­ement, ainsi que ceux du Comité national de la Résistance (CNR). Ils prenaient contact avec Colette Pons et demandaien­t « la clé du Rex ».

Mais, peu à peu, l’étau se resserra.

Une plaque plus précise a remplacé, en 2013, la première plaque inaugurée en 1972, au 22 de la rue de France à Nice.

La Gestapo recherchai­t Rex. Une nouvelle exposition fut organisée en mai 1943 avec des oeuvres d’othon Friesz, une autre en juin avec des aquarelles et des dessins de Renoir, Utrillo, Picasso, Valadon. On n’y vit pas Jean Moulin. Il fut arrêté le 21 juin 1943 à Caluire, près de Lyon.

Aussitôt après, Colette Pons reçut un télégramme signé de Laure, soeur de Jean Moulin : « Vendez comme prévu ». Cette formule, prévue à l’avance, signifiait qu’il fallait fermer le local en urgence, mettre à l’abri la collection et fuir. Colette Pons raconte : « J’eus le temps de déménager, de nuit, toute la collection de la galerie, sur une charrette à bras, avant d’aller me cacher dans le Vaucluse. » On ne parla plus de la galerie Romanin.

Une plaque a été dévoilée au 22 rue de France, à Nice, le 28 août 1972 par le maire Jacques Médecin, en présence de Colette Pons et de Laure Moulin.

La célébratio­n, cette année, des quatre-vingts ans du débarqueme­nt, est l’occasion de se souvenir que Jean Moulin y agit pour sauver la France.

Dates marquantes de la vie de Jean Moulin

> 20 juin 1899 : Naissance à Béziers. > 1917 : Étudiant à la faculté de droit de Montpellie­r.

> 1918 : Mobilisé lors des derniers combats de la Première Guerre mondiale.

> 1922 : Entre dans l’administra­tion préfectora­le.

> Janvier 1939 : Nommé préfet de Chartres. > Novembre 1940 :

Entre dans la clandestin­ité. S’installe dans sa maison familiale de Saintandio­l, au sud d’avignon.

> Février 1943 : Création du Conseil national de la Résistance qu’il dirigera. > 21 juin 1943 : Arrestatio­n à Caluire. Est torturé par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie.

> 8 juillet 1943 : Mort près de Metz dans un convoi à destinatio­n de l’allemagne, à la suite des tortures subies.

> 19 décembre 1964, entrée au Panthéon, avec le célèbre discours d’andré Malraux :

« Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège, avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé... »

Il reprit le nom de Romanin sous lequel, adolescent, il produisait des dessins et des aquarelles

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