Depuis Menton, un jardin sentinelle des invasifs
On dénombre en France environ 700 espèces exotiques, certaines envahissantes. Un suivi scientifique trace les arrivées d’insectes, favorisées par la mondialisation et le réchauffement.
Avec ses longues antennes, aromia bungii est un capricorne exotique tout à fait respectable. Apercevoir son col rouge sur un tronc d’arbre est la hantise des producteurs d’abricots ou de pêches. Originaire d’asie, présent en Toscane et en Lombardie, l’insecte est capable de percer un tronc. « Ses larves peuvent détruire un fruitier, décrit le docteur Alain Roques, directeur de recherche émérite à l’inrae d’orléans. Quelle est sa prochaine destination ? La France ? »
C’est pour surveiller les arrivées d’insectes pas tout à fait anodins, qu’un jardin d’exception a été choisi à Menton. À un kilomètre à vol d’oiseau (d’insecte ?) de la frontière italienne, le jardin botanique Val Rahmeh est équipé depuis 2021 de pièges d’un genre particulier. « L’expérimentation “Samfix” porte sur la surveillance des insectes xylophages envahissants, dans le Sud-est. » Pour le dire
vite, des petites bêtes qui « mangent » du bois. Sur une dizaine de sites, dont Nice, Antibes, l’estérel et l’île de Porquerolles.
À tire d’aile
À Menton, les insectes peuvent arriver à tire-d’aile, sur la seule portion de terre, entre les Alpes et la Méditerranée, qui fasse le transit direct depuis l’italie. À ce jour, le capricorne à col rouge aromia bungii n’a jamais été détecté en France. Les effets d’insectes prédateurs de végétaux, Christophe Joulin les a déjà observés. « Regardez les petites branches de cet avocatier, toutes sèches », montre le responsable du jardin botanique, géré par le Muséum national d’histoire naturelle. L’arbre vigoureux
s’en sortira, mais le scolyte xylodandrus responsable des dégâts a été piégé ici « en très grande quantité l’an passé ».
Presque 500 de ces « bébêtes minuscules, d’un demi-millimètre » ont été attirées dans les sortes d’entonnoirs, dirigés vers un cul-desac. Relevé toutes les trois semaines et expédié pour identification. En ce printemps 2024 particulièrement arrosé, le jardin est luxuriant, d’une beauté exubérante. « Nous avons 1 800 espèces végétales différentes, de tendance tropicale à sub-tropicale. »
À Val Rahmeh, depuis que les charançons rouges menacent les palmiers phoenix, le suivi des insectes n’a plus cessé. « Il est devenu clair pour tout le monde qu’il faut éviter la monoculture », insiste Christophe Joulin. Planter des variétés
différentes permet non seulement de diminuer la progression physique d’un ravageur, mais aussi de ne pas courir à la catastrophe, si une espèce est touchée.
Tailler et brûler
Des seuils de température sont franchis”
Abrité des coups de froid, en surplomb de la mer, le jardin est réputé pour la douceur de son climat. Le réchauffement climatique amplifie le mouvement. « Les dates de floraison ne cessent d’avancer, les daturas refleurissent en décembre.» Et les insectes bénéficient de ces conditions clémentes.
« L’année dernière, ce qu’on a vu comme attaques sur les végétaux, c’était très important. On a passé beaucoup de temps à tailler et brûler. » Le principal moyen de lutte consiste à brûler les bois infectés pour ne pas disperser les insectes devenant invasifs.
En France, on compte environ 700 espèces d’insectes exotiques. En Europe, douze nouvelles arrivent chaque année, sur les pas de la mondialisation des échanges. En plus de favoriser leur installation, le changement climatique a aussi pour effet d’élargir les zones de prolifération. Un exemple autochtone est celui de la chenille processionnaire, qui ne survit pas en dessous de moins 16 °C. «Des seuils de température sont franchis, souligne Alain Roques. Ona montré que l’expansion de la chenille processionnaire, vers le nord ou en altitude, est liée au changement climatique. »
Il n’y a pas que ce qui est en l’air. Le jardin Val Rahmeh prévoit une conférence sur « L’invasion des vers plats en France ». Ces prédateurs des (précieux) vers de terre ont voyagé depuis l’asie. Dans la motte de plantes exotiques. > Conférence de Jean-lou Justine, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, « L’invasion des vers plats en France », le 26 mai à 14 h 30, 10