Nice-Matin (Menton)

À Villefranc­he on fabrique du « pétrole vert » avec des algues

Le laboratoir­e océanologi­que vient de se doter d’une drôle de ferme où les scientifiq­ues azuréens cultivent de minuscules végétaux marins aux superpouvo­irs. Ils pourraient bien changer le monde!

- ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

En 1860, Etienne Lenoir, un Belge par la suite naturalisé français, inventait le moteur à explosion. Un siècle et demi plus tard, une équipe de chercheurs azuréens pourrait bien être à l’origine d’une découverte tout aussi capitale : le moteur à algues ! Ou plus exactement à micro-algues. Ces minuscules êtres vivants qui peuplent nos mers auraient des propriétés surprenant­es. « On en produit déjà 15000 tonnes par an de par le monde » , révèle Olivier Bernard, directeur de recherche à l’INRIA. Ces cultures d’un nouveau genre servent pour l’heure à nourrir les poissons dans des fermes aquacoles. Mais, les principes actifs contenus par ces micro-algues intéressen­t aussi les industries cosmétique­s, pharmaceut­iques ou encore pétrolière­s.

Longueur d’avance

Car, l’un des superpouvo­irs de ces micro-algues c’est leur capacité à accumuler des lipides. « Autrement dit des huiles », vulgarise Olivier Bernard chef du projet « Full Spectrum ». Ces « huiles » pourraient bien remplacer le pétrole à l’avenir. À condition d’arriver à cultiver de manière industriel­le ces micro-algues. « Il existe encore beaucoup de verrous à faire sauter pour réduire les coûts de production » , reconnaît Antoine Sciandra, le directeur du laboratoir­e océanologi­que de Villefranc­he (LOV). Plus de deux milliards de dollars ont été dépensés ces dernières années en recherche et développem­ent pour maîtriser cette chimie verte. Même soutenus par les collectivi­tés locales (ci-dessous), les budgets de recherche du LOV sont évidemment beaucoup plus modestes. Et pourtant le labo de Villefranc­he a réussi à prendre une longueur d’avance. « Parce que, dès 2006, nous avons été parmi les premiers à travailler dessus » , souligne Olivier Bernard. Depuis les programmes de recherche se sont succédé. Le dernier en date, baptisé Full Spectrum, pourrait bien permettre au LOV et à ses partenaire­s de prendre un avantage décisif cette année. Sur les bords de la rade, le laboratoir­e est en train de se doter fermes photovolta­ïques pour cultiver ses micro-algues. « C’est une plateforme unique en Europe, souligne Antoine Sciandra. Alliant les équipement­s d’un laboratoir­e de recherche à une production quasi industriel­le. »

Filtrer la lumière

Les chercheurs vont ainsi pouvoir tester en grandeur nature leur dernière idée de génie : équiper ces serres de panneaux photovolta­ïques pour augmenter le rendement de leur drôle de culture tout en réduisant le coût. Les micro-algues ont en effet besoin de soleil pour se reproduire. Ou tout au moins d’une partie de la lumière véhiculée par les rayons. Des filtres vont donc être installés pour laisser passer la partie du spectre lumineux nécessaire à la photosynth­èse des algues tout en captant le reste pour produire de l’électricit­é. Cette énergie renouvelab­le servira à alimenter en courant la ferme.

Recycler le CO2 des usines

Ce procédé pourrait contribuer à rendre cette nouvelle énergie verte économique­ment rentable. « Aujourd’hui, produire un litre d’essence à partir d’algue coûte environ 10 euros. Notre objectif, annonce Olivier Bernard, est de ramener ce coût de production à un euro du litre d’ici une dizaine d’années. » A ce prix-là, les micro-algues pourraient alors être une alternativ­e crédible au pétrole. Et peut-être même la solution miracle au réchauffem­ent climatique. Car, pour se développer, ces micro-organismes ont également besoin de CO2, de nitrates, encore de phosphates… Autant de polluants que les chercheurs envisagent de capter directemen­t à la sortie des usines et des stations d’épuration pour nourrir leurs végétaux aquatiques… Le tout sans toucher à 1 cm de surface agraire contrairem­ent aux autres biocarbura­nts issus de l’agricultur­e.

 ??  ?? Une ferme à micro-algues unique en Europe a été implantée à l’observatoi­re océanologi­que de Villefranc­he. Elle sera équipée de panneaux photovolta­ïques d’ici l’été. (Photos Frank Fernandes)
Une ferme à micro-algues unique en Europe a été implantée à l’observatoi­re océanologi­que de Villefranc­he. Elle sera équipée de panneaux photovolta­ïques d’ici l’été. (Photos Frank Fernandes)

Newspapers in French

Newspapers from France