Hollande capitaine de prao
Christiane Taubira a le sens des images qui frappent. Elle n’est pas du genre à s’esquiver sur la pointe des pieds. Cette photo de l’ex-garde des Sceaux quittant le ministère de la Justice à vélo, sourire vainqueur et bras levé, restera comme une des images du quinquennat. Elle en signe en tout cas un des tournants. Que de couacs et de provocations a dû avaler François Hollande pour éviter cela! Elle était la frondeuse, l’indocile, l’icône de la gauche « morale », la gardienne des valeurs. D’autant plus indispensable, dans le casting élyséen, que depuis la sortie d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, elle se retrouvait seule à incarner cette gauche critique qui gronde dans le pays et boude dans les urnes. Le Président s’en accommodait. Mieux, cela le servait. Dans le subtil jeu de poids et contrepoids qu’est l’exercice hollandais du pouvoir, la dame au verbe haut et au lyrisme flamboyant (mais assez politique, jusqu’ici, pour se plier à la discipline gouvernementale quand elle était battue dans les arbitrages, ce qui lui arrivait de plus en plus souvent) avait une fonction : apporter une touche de rose vif dans une équipe de plus en plus monocolore. Contrebalancer une ligne politique – social-démocrate, voire social-libérale, en économie, sécuritaire dans le domaine régalien – qui laisse le pouvoir dégarni sur son flan gauche. Avec le départ de Taubira et son remplacement par Jean-Jacques Urvoas, soit à peu près son antithèse, le gouvernement gagne en cohérence. Mais son spec- tre politique s’en trouve encore rétréci. François Hollande a commencé son quinquennat à la barre d’un trimaran : un flotteur à droite, un à gauche et lui au milieu. Le voici capitaine de prao. Vous savez, cette embarcation polynésienne dotée d’un seul balancier. Un balancier placé à tribord (à droite, si l’on préfère), et qui se nomme Emmanuel Macron. La situation est inconfortable pour le chef de l’État, qui n’aime rien tant que se placer au centre et audessus pour exercer son fameux sens de la synthèse. Elle vient compliquer encore un peu plus l’équation . Sans doute, avec la tragédie du novembre, il a gagné durablement en présidentialité. Mais malgré ses efforts, et ceux du Premier ministre, pour entretenir l’union sacrée contre le terrorisme, le regain de popularité de François Hollande s’érode rapidement. Et jusqu’ici, il ne semble guère se traduire dans les intentions de vote. Le président le sait mieux que quiconque : pour franchir la barre du premier tour, il lui faut rassembler la gauche derrière lui ; en tout cas empêcher la cristallisation des frustrations et des mécontentements autour d’une (ou plusieurs) candidature(s) de la gauche de la gauche. Beaucoup s’attendaient que le prochain remaniement soit l’occasion de jeter les bases de ce rassemblement, en réintégrant une partie des contestataires. Mais les dégâts causés par l’affaire de la déchéance, dont atteste la théâtrale sortie de Taubira, rendent l’opération hautement aléatoire. Et d’autant plus nécessaire. Le prao est une embarcation fragile, peu adaptée aux courses en haute mer.
« Taubira avait une fonction : apporter une touche de rose vif dans une équipe de plus en plus monocolore. »