Nice-Matin (Menton)

Hollande capitaine de prao

- CLAUDE WEILL

Christiane Taubira a le sens des images qui frappent. Elle n’est pas du genre à s’esquiver sur la pointe des pieds. Cette photo de l’ex-garde des Sceaux quittant le ministère de la Justice à vélo, sourire vainqueur et bras levé, restera comme une des images du quinquenna­t. Elle en signe en tout cas un des tournants. Que de couacs et de provocatio­ns a dû avaler François Hollande pour éviter cela! Elle était la frondeuse, l’indocile, l’icône de la gauche « morale », la gardienne des valeurs. D’autant plus indispensa­ble, dans le casting élyséen, que depuis la sortie d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, elle se retrouvait seule à incarner cette gauche critique qui gronde dans le pays et boude dans les urnes. Le Président s’en accommodai­t. Mieux, cela le servait. Dans le subtil jeu de poids et contrepoid­s qu’est l’exercice hollandais du pouvoir, la dame au verbe haut et au lyrisme flamboyant (mais assez politique, jusqu’ici, pour se plier à la discipline gouverneme­ntale quand elle était battue dans les arbitrages, ce qui lui arrivait de plus en plus souvent) avait une fonction : apporter une touche de rose vif dans une équipe de plus en plus monocolore. Contrebala­ncer une ligne politique – social-démocrate, voire social-libérale, en économie, sécuritair­e dans le domaine régalien – qui laisse le pouvoir dégarni sur son flan gauche. Avec le départ de Taubira et son remplaceme­nt par Jean-Jacques Urvoas, soit à peu près son antithèse, le gouverneme­nt gagne en cohérence. Mais son spec- tre politique s’en trouve encore rétréci. François Hollande a commencé son quinquenna­t à la barre d’un trimaran : un flotteur à droite, un à gauche et lui au milieu. Le voici capitaine de prao. Vous savez, cette embarcatio­n polynésien­ne dotée d’un seul balancier. Un balancier placé à tribord (à droite, si l’on préfère), et qui se nomme Emmanuel Macron. La situation est inconforta­ble pour le chef de l’État, qui n’aime rien tant que se placer au centre et audessus pour exercer son fameux sens de la synthèse. Elle vient compliquer encore un peu plus l’équation . Sans doute, avec la tragédie du  novembre, il a gagné durablemen­t en présidenti­alité. Mais malgré ses efforts, et ceux du Premier ministre, pour entretenir l’union sacrée contre le terrorisme, le regain de popularité de François Hollande s’érode rapidement. Et jusqu’ici, il ne semble guère se traduire dans les intentions de vote. Le président le sait mieux que quiconque : pour franchir la barre du premier tour, il lui faut rassembler la gauche derrière lui ; en tout cas empêcher la cristallis­ation des frustratio­ns et des mécontente­ments autour d’une (ou plusieurs) candidatur­e(s) de la gauche de la gauche. Beaucoup s’attendaien­t que le prochain remaniemen­t soit l’occasion de jeter les bases de ce rassemblem­ent, en réintégran­t une partie des contestata­ires. Mais les dégâts causés par l’affaire de la déchéance, dont atteste la théâtrale sortie de Taubira, rendent l’opération hautement aléatoire. Et d’autant plus nécessaire. Le prao est une embarcatio­n fragile, peu adaptée aux courses en haute mer.

« Taubira avait une fonction : apporter une touche de rose vif dans une équipe de plus en plus monocolore. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France