Romane Bohringer affronte Hippolyte Girardot à Nice
Hippolyte Girardot défend une multinationale. L’avocate Romane Bohringer l’accuse de spolier des cultivateurs déshérités. Le théâtre engagé d’Irina Brook résonne avec l’actualité
La pièce se déroule probablement en Afrique du Sud. Ce pourrait être aussi bien en Amérique Latine. Des petits planteurs de canne à sucre sont aux prises avec une multinationale qui, sous couvert de rendements mirifiques, s’approprient à vil prix des lopins appauvris. Version contemporaine du pot de fer contre le pot de terre, à travers une trentaine de saynètes imaginées par Stefano Massini, sur une mise en scène d’Irina Brook, directrice du Théâtre national de Nice (TNN).
Vous répétez ici depuis un mois. Votre vie niçoise? Romane Bohringer :: On a déjà nos petites habitudes. Grâce à mon application « fooding », j’ai repéré dès le deuxième jour le Bistrot du fromager, dans le Vieux-Nice. Super accueil dans une ville somptueuse, et une cuisine à tomber par terre. On y est tous les soirs! Hippolyte Girardot :: En même temps, on ne connaît pas beaucoup d’adresses où l’on peut dîner après heures… Loin de votre bagarre au TNN? HH.. GG.. :: Cette pièce est symbolique de tout ce qu’il se passe au niveau global. Plus la mondialisation avance, plus les puissances financières réduisent les « petits » à une position de grande dépendance. De ce point de vue, les OGM sont une grande réussite. Mais avec des conséquences dangereuses puisque toute accélération de la productivité engendre un appauvrissement général des ressources. Autour de multinationales qui s’organisent pour se partager le gâteau. Sujet écologique? Politique? HH.. GG.. :: L’écologie est toujours politique. Mais ce serait une erreur de vouloir cantonner le spectacle dans cette case.
Pour un comédien, l’adhésion à la thèse est un préalable? RR.. BB.. :: Je me considère comme une interprète et non pas comme une militante. Après, quand on prend l’option de travailler avec quelques personnes que l’on aime, c’est un métier qui peut rassembler autour d’une sensibilité, d’un point de vue. C’est le cas avec Irina Brook, dont le grand projet est d’introduire le monde dans le théâtre, tout en projetant le théâtre hors les murs. Si l’on choisit de jouer cette pièce plutôt qu’une autre, c’est sans doute que l’on a envie de véhiculer quelque chose de cet ordre. HH.. GG.. :: Moi, je milite pour ne pas être contraint par quelque règle que ce soit. La principale sensibilité, pour nous, c’est effectivement de croire au théâtre. Le théâtre comme lieu rassemblement où des choses peuvent germer, ou changer. RR.. BB.. :: Ce que dit Hippolyte est très juste. Être sur scène, c’est croire que l’on peut partager. Mais le militant, le vrai, voue sa vie, quand nous n’évoquons ici qu’une vision morale du théâtre.
Romane, vous êtes là aussi pour Lampedusa Beach… RR.. BB..: Il se trouve que, cette année, s’enchaînent Terre noire et Lampedusa Beach, après J’avais un beau ballon rouge qui, d’une autre manière, est aussi une interrogation sur la façon dont on peut changer le monde. J’aime également la légèreté et l’humour au théâtre, mais il y a des moments, comme ça, où la force de ce qu’il se passe sur la planète vient pousser à notre porte. Cela me gêne, parfois, car j’ai un sentiment d’illégitimité. Ai-je le droit, moi, d’interpréter une migrante qui se noie dans des douleurs atroces? Mais comment refuser de faire corps avec une souffrance que je ressens violemment? C’est comme s’il y avait une sorte d’urgence, chez moi, à raconter des fragments de cette réalité. Ce que je dis peut paraître angélique, mais comme simple citoyenne, mon premier réflexe me pousse à la fraternité, plutôt qu’à la méfiance.
« Le théâtre comme lieu de rassemblement où quelque chose peut germer. »