Nice-Matin (Menton)

La canne ou le roseau

Retrouvez chaque samedi la rubrique de la société d’art et d’histoire du mentonnais

- JEAN RAYBAUT

Le roseau qui « plie et ne rompt pas » , bien connu grâce à Jean de La Fontaine, n’est autre que ce végétal aux multiples usages appelé canne, dans notre région. Celle-ci pousse le long des cours d’eau et repousse en abondance même après avoir été taillée au ras du sol. Dans cette plante, tout va être utilisé. Le premier travail consistait à dépouiller ces cannes de leurs feuilles et de la fine enveloppe qui recouvre la canne elle-même. Les longues et larges feuilles, aux bords tranchants pour nos doigts, étaient un régal pour notre petit âne… Cela nous surprenait, mais nous disait-on « il mange bien les chardons » … Les petites tiges ainsi que les pointes des grosses étaient soigneusem­ent séparées ; elles allaient servir à faire des canisses pouvant clôturer ou isoler un espace. Tressées sur un châssis en bois, elles devenaient une claie (gralha) sur lesquelles sècheront les figues. Les grosses tiges, préalablem­ent pointées pour pénétrer facilement dans le sol, deviendron­t des « rames » sur lesquelles les « haricots à rames » iront s’enrouler et monter ainsi jusqu’à 2 m de haut. Les plants de tomates étaient également soutenus par ces belles cannes réunies entre elles par un lien de genêt. La tige de la canne est constituée de plusieurs tronçons creux séparés par une cloison. Entre deux cloisons, se situe le canon. Celui-ci était débité en fines lamelles trempées aux extrémités dans du soufre fondu qui séchait aussitôt. Disposées près de l’âtre, ces soufrenìse posées sur une braise redonnaien­t, le matin venu, force et vi- gueur au feu couvert pour la nuit. Enfin, un bon mètre de belle canne devenait un soufiaoù (soufflet) quand, après avoir perforé les différente­s cloisons avec un petit fer porté au rouge et soufflé à une extrémité, nous pouvions raviver un tison défaillant. Un canon obturé d’un côté par une cloison et fermée de l’autre par un bouchon devenait une salière incassable lorsqu’on portait le repas « aux hommes » qui, depuis le matin, maniaient le magàlh (pioche à deux dents). Quant aux jeunes, avec un tube de canne de petit diamètre bien droit et bien lisse, ils confection­naient une sarbacane qui leur permettait d’envoyer des boulettes de papier mâché. N’oublions pas l’instrument de musique! Dans un « canon » de bon calibre fermé aux deux extrémités par du papier de soie et percé près de chaque extrémité, il suffisait de souffler dans l’un des trous pour faire vibrer les papiers tendus et un son mélodieux sortait par l’autre. Maintenant, quand les hasards de la promenade vous conduiront près d’un bosquet de cannes, peut-être qu’en repensant à ce qu’elles ont apporté à nos ancêtres, votre regard perdra de son indifféren­ce…

Note : les termes dialectaux sont en castilhoun­enc.

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(Photo archives Nice-Matin) Manufactur­e Anches Roseaux Côte d’Azur dans le Var à Ollioules.
 ??  ?? Séchage de roseaux au soleil.
Séchage de roseaux au soleil.
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Dans le roseau, tout est utilisé.

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