Nice-Matin (Menton)

Témoignage : Dans l’enfer de la bipolarité

- N.C.

Lucienne 1), 70 ans, parle de

( sa maladie avec une lucidité qui glace le sang. « Je suis maniaco-dépressive… Aujourd’hui, on dit plutôt bipolaire. C’est une maladie épouvantab­le, qui nous fait passer de la dépression à l’excitation totale. Ces phases maniaques sont certes plus « confortabl­es » que les phases dépressive­s, mais elles peuvent conduire à faire des choses… » Plutôt que compléter sa phrase, Lucienne préfère illustrer son propos par un témoignage. « Un jour, je suis rentrée dans une bouquineri­e, simplement dans le but de faire évaluer un livre… Mais, j’étais très excitée ce jour-là, j’avais envie de parler. Et je suis restée cinq heures dans cette boutique, à discuter avec les propriétai­res ! Et, puis je les ai invités à dîner… Et ils se sont installés chez moi pendant trois semaines… Il m’a fallu autant de temps pour réaliser que quelque chose n’allait pas, que ces gens me racontaien­t des histoires, qu’il fallait que les fasse partir. Dans ces périodes d’excitation, on arrive à faire des choses… Même si on ne doit pas, on les fait quand même. » Si Lucienne se souvient bien de ces phases, elle a aussi la mémoire des périodes où elle ne parvient plus à quitter en lit, victime de dépression sévère. « Quand je suis dans cet état je ne fais plus rien, je me moque de tout, rien ne m’intéresse. Je suis capable de regarder le linge sec sur l’étendoir, sans avoir la force de me lever pour le plier… » En 2010, elle vivait ainsi sa plus longue période dépressive : 9 mois. « C’est tellement imprévisib­le, parfois ça ne dure que deux mois, et je repasse en phase maniaque. » Si un médicament thymorégul­ateur, le lithium, a permis à Lucienne de reprendre pied pendant quelques années, « les troubles ont malheureus­ement ressurgi lorsqu’il a fallu réduire la posologie. » Contrairem­ent à beaucoup de patients bipolaires, Lucienne est entrée dans la maladie tardivemen­t, même si elle est convaincue que ses troubles étaient plus anciens. « En 1993, alors que je devais subir une mammectomi­e, j’ai surpris tout le monde, en prenant joyeusemen­t des photos de mon sein, pendant qu’on prenait des repères pour le tatouage ! J’étais déjà probableme­nt en phase maniaque… » Deux ans plus tard, dans un contexte familial sensible, Lucienne fait une grosse dépression. « Là, j’ai dû être hospitalis­ée dans une clinique de la région. J’ai reçu des perfusions d’un antidépres­seur très puissant… Et ça m’a mise dans un état d’euphorie incroyable! » C’est à partir de là que Lucienne est entrée de plain-pied dans la bipolarité. Pour elle le lien est clair. « J’ai retrouvé un an plus tard des patients qui avaient eu le même traitement et les mêmes suites que moi. »

1. Le prénom a été modifié

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