Nice-Matin (Menton)

Des vagues sur la Côte

-

Certains l’avaient surnommé l’ayatollah. C’était l’époque où, depuis son bureau de magistrat au tribunal administra­tif de Nice, avec vue imprenable sur la Méditerran­ée, Norbert Calderaro, s’est forgé en 20 ans la notoriété de juge intraitabl­e en matière d’urbnisme. À la fin des années quatre-vingt, face à l’immobilism­e de l’État et des préfets lorsque la loi littoral est promulguée, il a fait partie de ces juges qui, grâce à la jurisprude­nce, ont fait appliquer la loi. Au risque de gêner…

Est-il vrai que la loi Littoral a été promulguée trop tard pour les Alpes-Maritimes? C’est en grande partie vrai. Le littoral est aujourd’hui urbanisé à  % à l’exception des caps (d’Antibes, Ferrat et Martin, N.D.L.R.) et des Îles de Lérins. Mais cette loi n’est pas arrivée trop tard pour la Corse et le Var pour citer les départemen­ts voisins.

La loi n’a donc pas réussi à empêcher le bétonnage de la Côte d’Azur? L’urbanisati­on s’est poursuivie depuis  puisqu’elle ne bloque pas tous les projets. Elle s’est toutefois considérab­lement ralentie même si l’essentiel du littoral azuréen était déjà bien construit…

Dans quel contexte la loi est-elle apparue? Il y a eu une prise de conscience de l’urbanisati­on massive du littoral, consécutiv­e au développem­ent touristiqu­e des bords de mer, dans les années soixante-dix. La circulaire dite Chirac de  ; puis la directive D’Ornano de  ont tenté de ralentir le phénomène. En , l’Assemblée nationale – à l’unanimité ce qui est rare – a finalement voté la loi Littoral.

Qu’apporte-t-elle alors par rapport aux dispositio­ns antérieure­s? Elle a la force juridique et contraigna­nte d’une loi. Même si beaucoup pensaient, au début, qu’elle ne changerait rien. Il lui a d’ailleurs fallu presque  ans pour qu’elle s’applique réellement. Que les préfets prennent des dispositio­ns pour l’appliquer. Et qu’on prenne conscience de ses dispositio­ns contraigna­ntes pour les collectivi­tés. En particulie­r les communes, responsabl­es de l’urbanisme depuis la décentrali­sation de .

C’est là que le travail du juge administra­tif, que vous étiez, a pesé de tout son poids? Oui. Ce sont les décisions de justice qui ont fait appliquer la loi à la demande, dans  % des cas, des associatio­ns de préservati­on de l’environnem­ent.

Les villas Tannouri à Cap-d’Ail ou Pellerin à Antibes. La villa Inglès, au Cap-de-Nice, sont aussi des exemples tombés sous le couperet de la loi Littoral? Ces dossiers concernent le littoral. Mais ne sont pas forcément des applicatio­ns de la loi Littoral. Il existe des dispositio­ns traditionn­elles qui protègent le domaine public maritime. Tannouri, c’était un contentieu­x pénal d’urbanisme pur. Les propriétai­res n’avaient pas de permis de construire. Pellerin, c’était un peu la même chose à partir d’un permis minime qu’ils ont largement dépassé. La villa Inglès, c’était un problème d’urbanisati­on trop massive.

Alors quels sont les exemples les plus probants de cette loi? Il y en a eu beaucoup dans la mesure où le tribunal administra­tif de Nice était compétent pour les AlpesMarit­imes et le Var jusqu’au milieu des années . Elle a censuré un certain nombre de gros projets immobilier­s. Comme la ZAC de Pardigon à la Croix-Valmer et à Cavalaire (lire par ailleurs) dans le Var. Dans les Alpes-Maritimes, il y a eu les Hautes Roches à Théoule. Il y a eu aussi – mais trop tard en l’absence de référé suspension à l’époque – la ZAC du Bas-Lauvert, dite d’Antibes-les-Pins, malheureus­ement édifiée à  %. A Roquebrune-Cap-Martin, la ZAC Saint-Roman, en limite de Monaco, est une autre opération immobilièr­e arrêtée sur décision préfectora­le. La présence de capitaux mafieux dans cette affaire n’a pas arrangé les choses…

Plus proche de nous dans le temps, il y a eu le projet d’extension du Grand Hôtel du Cap-Ferrat? En .  m de surfaces

 supplément­aires sont annulées par triple décision du juge administra­tif, du juge des référés du tribunal administra­tif et formation collégiale du tribunal administra­tif. L’appel devant la cour administra­tive de Marseille a également été rejeté.

Mais un second permis a été accordé… Oui, mais pour un projet moins important :   m qui s’intègrent

 dans un parc paysager. Et qui n’a surtout été contesté par personne même si elle est contraire à la loi. Elle est toutefois bien moins massive que la première… Et un juge ne peut s’auto-saisir.

Ce sont des procédures parfois très longues? Oui ça peut prendre des années. Et cela peut donner lieu à des indemnités pour les promoteurs qui sont écartés in fine. Ce fut le cas de Pardigon pour Pierre-et-Vacances. Comment la voyez-vous vieillir, cette loi? Comme celle sur les monuments historique­s ou celle sur les sites classés, elle est appelée à durer. Même s’il y aura toujours des contentieu­x à la marge avec des promoteurs ambitieux. Aujourd’hui, crise économique oblige, il y en a moins.

Ça n’a pas toujours été facile de prendre des décisions d’interdicti­on dans un territoire où la pression immobilièr­e est très forte? Nous sommes en France. En démocratie. Dans un État de droit avec une justice indépendan­te. Les juges apprécient en conscience. Mais ce sont les décisions des juges qui ont fait, dans tous les départemen­ts de France avec une façade littorale, que c’est devenu une loi contraigna­nte. Parce que lorsque l’État, les préfets, avaient fait montre de carences, sans l’appliquer, ce sont les juges administra­tifs qui l’ont fait! Alors oui, quand on prend une décision, on déçoit quelqu’un. Tout est question de volonté. J’ai plus la fibre protectric­e, il est vrai… Il n’empêche j’ai validé des projets lorsque j’ai estimé qu’ils devaient l’être. Encore une fois, la loi Littoral est une loi d’équilibre.

Juge Norbert Calderaro : « Quand on interdit, on déçoit forcément » Il a fallu  ans pour qu’elle s’applique ”

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France