Nice-Matin (Menton)

I PEUR DE RIEN

Avant de profiter de séjours idylliques sur la côte méditerran­éenne, les riches hivernants vivaient un voyage très long, éprouvant, sans confort et sous la menace de dangers permanents. À tel point qu’il était recommandé de faire son testament avant de pa

- NELLY NUSSBAUM

nitié par les Anglais, le tourisme d’hiver sur la côte méditerran­éenne a débuté fin XVIIIe siècle. Les premiers hivernants britanniqu­es venaient dans le Midi pour échapper à la rigueur des hivers anglais ou pour des raisons de santé. A cette période, la tuberculos­e était une maladie très répandue et les malades espéraient trouver la guérison grâce au climat méditerran­éen. Mais pour arriver jusqu’à cet eldorado de la santé, les préposés à la guérison se lançaient dans de longs et périlleux voyages. Et quelquefoi­s, leur santé ne leur permettait même pas d’entrevoir le soleil du sud. Des familles entières, parents, enfants et quelquefoi­s grandspare­nts accompagné­s par leur domesticit­é entreprena­ient le périple. Que ce soit à cause des intempérie­s, du mauvais état des routes, des défaillanc­es des hommes ou des chevaux ou encore du brigandage, voyager au XIXe siècle est loin d’être relaxant. En approchant de la Savoie, les diligences tombent régulièrem­ent sur un brigand célèbre, Bernard Sifredi qui, avec sa bande, a rançonné les voyageurs pendant huit ans. Il a finalement été capturé et condamné aux galères à vie. Ce qui n’a pas stoppé le brigandage pour autant ! Après environ deux jours et une nuit de traversée en bateau, les voyageurs continuent en diligence soit avec un équipage privé ou avec un transport public. Quelle que soit la qualité de la voiture hippomobil­e, la notion de danger est omniprésen­te. Il est même recommandé de signer son testament avant de partir ! En dépit des efforts déployés pour améliorer le réseau routier, les dégâts produits sur la chaussée par une diligence qui peut atteindre jusqu’à 7 tonnes à pleine charge sont considérab­les. Vers 1840, la mise en place de réglementa­tions sur le poids maximum autorisé des véhicules améliore légèrement les conditions de

voyage, qui reste très long. La diligence avance à 15 km/heure et met entre 8 et 10 jours pour traverser la France. Les équipages privés offrent un confort sommaire, mais évitent la promiscuit­é. C’est la même chose lors de l’arrêt dans les relais poste. Les riches maîtres bénéficien­t de chambres avec commodités, tandis que les domestique­s doivent se partager le couchage.

Des trains sans éclairage, sans chauffage et sans toilettes

Dès 1864, un nouveau mode de transport, déjà bien implanté en Angleterre fait son apparition en France : le chemin de fer. Se développe alors dans le Midi avec le réseau Paris Lyon Méditerran­ée (P.L.M.). Il est désormais possible de rallier Nice en « seulement » dix-huit heures. Arrivent alors à Nice des hivernants de toute l’Europe et même de Russie. En terme de conditions de voyage, bien que le train roule à 40 voire 60 km/heure, il n’est pas sans désagrémen­ts. Il existe plusieurs classes. La dernière constituée de wagons découverts est encore moins confortabl­e que la pire des diligences, mais le voyage est plus court. Même en 1ère classe, il n’existe pas de lieux d’aisance ni d’éclairage, qui ne seront installés que bien plus tard. Des seaux hygiénique­s sont vidés par le personnel de bord dans chaque gare traversée de même que les bouillotte­s, proposées pour palier au manque de chauffage, sont remplacées régulièrem­ent. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que les trains seront dotés d’un chauffage fonctionna­nt par la vapeur de la locomotive. Pour lire ou jouer aux cartes, les voyageurs doivent se munir d’un petit bougeoir portatif. Quant au service à bord, il est inexistant. Quelques

colporteur­s qui répondent au sobriquet « d’hirondelle » - nom dû à leur passage d’un compartime­nt à l’autre « en voltige », par les marchepied­s en se tenant à la main courante - proposent quelques marchandis­es telles que peignes, parfums, denrées alimentair­es ou flasques de cognac.

Les Russes dans des palais roulants

En revanche, certaines familles royales, notamment des Russes, voyagent dans de véritables palais roulants. Un train spécial – l’Orient Express – composé de chambres à coucher, de salons, de cabinets de toilette, de boudoirs, d’une salle à manger avec office, de bureaux... le tout capitonné de satin blanc et bleu, avec des petits meubles de marqueteri­e les transporte­nt à travers l’Europe. Quant aux membres du personnel, ils logent dans des wagons qui ressemblen­t plus à des fourgons transporta­nt malles et valises. Le 21 octobre 1864 est resté dans les annales niçoises : arrive en gare de Nice, un train, armorié aux couleurs impériales russes qui transporta­it le tsar Alexandre II et la tsarine Marie Alexandrov­na. Ils ont fait Saint-Pétersbour­g-Nice en 30 heures. Devant les Niçois interloqué­s, débarquent le couple impérial, la famille royale et une suite d’environ centsoixan­te personnes, transporta­nt les cinq-cents trente bagages de l’impériale voyageuse. Mais peu importe la difficulté du voyage, les hivernants espèrent au bout du compte la guérison sur la French Riviéra ou du bon temps. Sources : «Les Hivernants (surtout Britanniqu­es) sur la Riviera» par Marc Boyer. ««TouristesT­ouristeshi­vernantshi­vernantset­etsociétés­ociétéloca­lelocalesu­rsurlalaCô­teCôted’Azurd’Azur au début du XXe siècle», par Paul Cuturello. « Voyages et déplace

ments au XIXe siècle », Archives de France.

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La gare de Nice à la fin du XIXe siècle. Le train est plus sûr et plus rapide que les diligences. (© DR) La surcharge des voitures hippomobil­es est un des plus gros dangers avec le brigandage. (© DR) Le  octobre  la tsarine Marie Alexandrov­na...
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Dès , les riches pouvaient déjeuner dans un wagon restaurant. Pour les moins fortunés, le pique-nique était de mise, tout comme l’achat de nourriture auprès de vendeurs ambulants. (© DR)

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