PEUR DE RIEN
En 1776, l’église Saint-Louis est presque achevée sur la place d’Armes à Toulon, que Louis XVI la fait démolir estimant qu’elle gêne les manoeuvres militaires. Les Toulonnais n’hésitent pas à offrir 300 bouteilles de champagne au secrétaire du roi pour «acheter» l’autorisation de la reconstruire à son emplacement actuel
Tout le monde, à Toulon, connaît l’église SaintLouis, avec sa colonnade de temple romain et son fronton triangulaire. On la voit aujourd’hui sagement installée dans l’histoire de la ville sans savoir que sa construction ne fut pas de tout repos et mit à l’épreuve l’audace des Toulonnais. Voilà l’histoire. En 1705, l’évêque de Toulon est ArmandLouis Bonnin de Chalucet, communément appelé Monseigneur Chalucet. Son nom est resté attaché à une rue de la ville. A cette époque, Toulon ne possède qu’une seule paroisse rattachée à la cathédrale Sainte-Marie. L’évêque décide donc de construire une nouvelle église pour desservir les quartiers ouest. Pour ce faire, il obtient du roi de France Louis XIV la concession d’une partie de la place d’Armes qui était consacrée aux manoeuvres militaires et que les Toulonnais avaient baptisée «Champ de bataille». On pose la première pierre. Au début de l’année 1709, les travaux sont bien avancés. Les murs atteignent près de 4 mètres.
La construction stoppée par la peste
Mais la froideur de l’hiver qui gèle, cette année-là, tous les oliviers de Provence, ralentit soudain l’avancement des travaux. Le décès de Mgr. Chalucet en 1712, et surtout la peste de 1720 qui cause la mort de la moitié de la ville, soit 15 000 habitants dont deux consuls et plusieurs officiers royaux, entraînent l’arrêt de la construction. Les travaux ne reprennent qu’en 1767. En 1776, alors que l’église est pratiquement achevée, le roi Louis XVI estime que l’édifice gêne les manoeuvres militaires sur la place et ordonne purement et simplement sa démolition. Le bâtiment est donc détruit en 1780. Il faut le reconstruire. Le roi suggère que ce soit à la place du couvent des capucins. Cela convient au conseil municipal mais point aux capucins qui refusent d’être délogés. Ceux-ci en appellent au roi qui leur donne raison. Que va faire le conseil municipal devant ce revirement de l’opinion royale ? Déranger un ministre ? Non, il est parfois inutile d’aller si haut, il suffit de trouver un secrétaire ou un directeur de cabinet qui saura prendre la bonne décision à la place du roi et convaincra celui-ci qu’il a eu bien raison de changer à nouveau d’avis !
Espionné avant d’être soudoyé
C’est donc un directeur de cabinet qui a été approché. Lequel ? On ne le saura jamais puisque l’affaire a été traitée en secret. Toujours est-il que, selon le récit qu’en a fait Paul Maurel dans son « Histoire de Toulon » parue en 1943 qui fait toujours référence, le Conseil municipal toulonnais a mandaté un certain Sablonnière pour aller convaincre à Paris ce membre de l’administration royale. L’agent municipal toulonnais est allé le trouver, au nom de la municipalité, avec une « belle pendule d’un goût nouveau » ainsi que... 300 bouteilles de champagne - du champagne « de la maréchale d’Estrée » qui, semble-t-il, représentait le summum du breuvage champenois à l’époque. De plus, comme on savait cet administrateur royal porté sur la littérature, l’agent communal toulonnais fut chargé d’espionner sa bibliothèque afin de «voir les livres qui lui manquaient». Il reçut rapidement, de la part de la municipalité de Toulon, de quoi compléter sa soif de lecture. C’est ainsi que le conseil municipal toulonnais fut peu de temps après autorisé par le roi à construire son église à la place de l’habitation des capucins. C’est là qu’elle se trouve aujourd’hui. L’édifice fut terminé en 1788. Un an après éclate la Révolution. La nouvelle église qui n’a pas encore été inaugurée, est transformée en 1794 en « Temple de la Raison ». Elle servira ensuite de caserne. Rendue au culte catholique en 1803, elle ne fut consacrée que le 25 janvier 1858 par Mgr. Jordany évêque de Fréjus. Tout le monde avait alors oublié les trois cents bouteilles de champagne qui avaient permis sa construction.