Signé Roselyne
Lundi
Le musée du quai Branly portera dorénavant le nom de Jacques Chirac. Ce n’est que justice. Personne n’a fait autant que lui pour promouvoir le dialogue des cultures, la connaissance de civilisations lointaines et ignorées, la découverte des arts premiers. Jacques Chirac est étonnant et détonnant. Détonnant, car dans un monde où tout un chacun parle sentencieusement de livres qu’il n’a pas lus ou de films qu’il n’a pas vus, l’ancien président ne faisait aucun étalage de ses goûts. Etonnant, car ses connaissances ne relevaient pas de celles d’un amateur éclairé, mais d’un véritable spécialiste capable de discuter avec les experts les plus pointus. Me vient en mémoire la visite en d’un musée à Shangai où le conservateur, en me montrant un bronze magnifique, m’avait indiqué que la datation de l’objet avait été modifiée à la suite d’une observation de Jacques Chirac… On est loin des cuistres et des grimauds qui se contentent de la note concoctée par un conseiller ou de lire La Chine pour les nuls.
Mardi
Alors que le gouvernement tente de se dépêtrer des ses incohérences et de ses atermoiements sur la manifestation prévue jeudi contre la loi Travail, on annonce la mort d’Edgard Pisani (résistant, ministre sous de Gaulle et Mitterrand, ainsi que commissaire européen, Ndlr). C’est le moment de relire le discours qu’il prononça lors des événements de Mai à la tribune de l’Assemblée nationale: «La crise est générale mais elle prend chez nous un tour particulier… parce que nos structures sont rigides et inadaptées. Vous trouvant en face de deux forces, l’angoisse et la revendication, vous avez choisi de répondre à la revendication pour ne pas répondre à l’angoisse. Vous avez choisi de céder sur l’accessoire pour ne pas mettre en cause une société qui est pourtant en cause». Il refuse les applaudissement de la gauche: «Je n’ai pas besoin de vos applaudissements. Vous avez choisi le pourrissement comme les pires de vos prédécesseurs.» Un demi-siècle après, hélas, rien à changer à cette diatribe.
Jeudi
Des manifestants anti-loi El Khomri ont vandalisé le siège de la CFDT. Monsieur Laurent Berger, son secrétaire général, est bien indulgent d’en imputer la responsabilité uniquement à des «militants d’extrême gauche». Pourquoi donc refuser cette simple vérité qui constate que le climat d’outrance, de violence et même de haine voulu par la CGT fait le lit de toutes les attaques contre la démocratie?
Vendredi
Les Britanniques quittent l’Union européenne. Comme dans un divorce, on sait que cela ne pouvait plus durer, que la souffrance infligée par un partenaire qui ne vous aime pas vous mine, que les tentatives de sauvetage vous empêchent de vous reconstruire, et pourtant quand le couperet tombe, le chagrin et les regrets sont là. Les analystes, politiques ou journalistes, ont bien du mal à nous indiquer les conséquences précises de cette rupture, oscillant entre catastrophisme et minimisation. La vérité est qu’on n’en sait rien. Plus féconde est sans doute la démarche qui consiste à tenter de se mettre dans la peau d’un anglais europhobe. Son profil type est établi: plus âgé, moins éduqué que la moyenne de ses compatriotes, il pâtit au premier chef des difficultés rencontrées pour trouver un emploi, un logement ou se soigner. Les infrastructures de son pays sont de mauvaise qualité, les inégalités sociales et territoriales flambent. Et c’est là que la stupéfaction vous saisit. Si Londres construit deux fois moins de logements sociaux que Paris, si le National Health Service, le système de santé britannique, est générateur de files d’attente, en quoi l’Europe en est-elle responsable? Les partisans du Brexit ont montré des images de cohortes de réfugiés qui viendraient voler les emplois, alors que le Royaume-Uni n’a quasiment pas accueilli de réfugiés syriens et que nous nous chargeons dans le Calaisis du sale boulot de garder leurs frontières. Les anti-européens les plus farouches, de Boris Johnson à Nigel Farage, sont des ultralibéraux convaincus qui veulent priver leurs ressortissants du maigre socle des droits fondamentaux communautaires pour les livrer à la seule loi du marché. Par quel tour de passepasse ces gens-là ont-ils convaincu les plus démunis de voter contre leurs propres intérêts? Peut-on rappeler au chômeur de Birmingham que monsieur Johnson s’était opposé en au plafonnement des bonus des banquiers et des traders de la City de Londres? Mais, au fait, qui a donc écrit L’Art du mensonge politique? Un Britannique, of course, Jonathan Swift!
Samedi
Au-delà de l’effet de sidération causé par la volonté des Britanniques de quitter l’Union européenne, le spectacle donné en réponse par la classe politique française est affligeant. Les souverainistes, Le Pen, Dupont-Aignan ou Mélenchon, sont dans leur rôle, et on leur reconnaîtra le mérite de la constance, à défaut de celui de la consistance. Il faut quand même avoir du culot pour parler, comme le fait la présidente du Front national, d’une victoire de la liberté. Depuis plus de quarante ans, les Anglais ont utilisé les opportunités de l’espace communautaire sans en accepter aucune des contraintes, et nous serions fondés à constater en l’occurrence le triomphe du cynisme et de l’égoïsme. Plus inquiétant est le discours des responsables des partis de gouvernement. De François Hollande à Nicolas Sarkozy, tous ont entonné l’antienne des insuffisances de l’Europe, l’accusant de dérives technocratiques ou de déficit démocratique. Hé ho, la droite et la gauche, peut-on vous rappeler qu’il y a moins de fonctionnaires dans les institutions européennes qu’à la mairie de Paris, que toutes les décisions sont prises par les chefs d’Etat et de gouvernement et non par la Commission européenne, que les règlements et directives sont la transposition a minima de notre propre arsenal législatif? Si vous voulez rire (ou pleurer), lisez donc l’excellent rapport – publié mercredi – des députés Véronique Louwagie (Les Républicains) et Razzy Hammadi (PS), sur la taxation des produits alimentaires. Vous apprendrez que la margarine n’a pas le même taux de TVA que le beurre, ou que celui-ci varie en fonction de la taille des rochers en chocolat, et ceci sans aucune injonction communautaire! La vérité est que ceux qui devraient défendre le projet européen, en montrer les acquis, en expliquer les finalités, choisissent la voie médiocre du bouc émissaire pour cacher leurs échecs. En se dandinant derrière les souverainistes, comme l’ont fait le conservateur Cameron ou le travailliste Corbyn, on ne récolte qu’un grand coup de pied dans le derrière. Pour échapper à la défaite, ils avaient choisi le reniement ; ils obtiennent le reniement et la défaite. A méditer pour la prochaine élection présidentielle.
« Par quel tour de passepasse les plus démunis ont-ils été convaincus de voter contre leurs propres intérêts ? »