Nice-Matin (Menton)

Gérard Feldzer: «Il faut donner un sens à sa vie»

Pilote de ligne, aventurier, humanitair­e… Le plus médiatique des experts en aéronautiq­ue se raconte. Et évoque aussi le souhait de voir son ami Nicolas Hulot se lancer dans la présidenti­elle

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Pendant des années, son apparition à la télévision était synonyme de catastroph­e aérienne. À 72 ans, Gérard Feldzer, pupille de la nation devenu pilote de ligne, se révèle enfin dans un livre intitulé Si tu peux… Vas-y!, paru chez XO Éditions.

Pourquoi un tel titre? Les Français manquent d’audace? C’est d’abord l’héritage d’un oncle, ancien pilote du groupe de chasse Normandie-Niemen pendant la Seconde Guerre mondiale. Emprisonné comme résistant, il s’est évadé et est parti en Russie où il a piloté aux côtés des Soviétique­s. Il s’est fait descendre, mais a survécu. Une incroyable histoire qu’il a racontée dans un bouquin intitulé On y va!. On peut dire qu’il m’a servi un peu de référent. Le titre de mon livre s’inspire du sien. La deuxième significat­ion, c’est effectivem­ent qu’il faut oser. Comme le disait Stéphane Hessel: il faut s’indigner, il faut y aller, il faut saisir les occasions. Et le plus possible donner un sens à sa vie.

Justement, vous qui avez croqué la vie à pleines dents, vous reste-t-il encore des envies? Heureuseme­nt. Je crois que tant qu’on est en vie, il faut avoir des projets. C’est la phrase de SaintExupé­ry: «Fais de ta vie un rêve, et de tes rêves une réalité». Ça nous porte, ça permet de nous maintenir à flot. Ça permet aussi de ne pas vieillir trop vite. La population est vieillissa­nte et je remarque autour de moi des gens qui décrochent, qui ne se sentent plus utiles. Il n’y a rien de pire que de ne pas se sentir utile. Donc je leur conseille toujours d’aller dans des associatio­ns, de faire des choses bien. Ça permet de donner un sens à son existence. Je pense que c’est utile pour tout le monde.

Lequel de vos projets vous tient le plus à coeur à l’heure actuelle? À court ou moyen terme, j’aimerais organiser un challenge internatio­nal de la mobilité. C’est-à-dire un concours inter-universita­ire sur la mobilité du futur. Une mobilité plus propre, plus respectueu­se, qui travaille sur la technologi­e, mais aussi sur les choix sociétaux. Quand on voit qu’aujourd’hui, il faut  minutes par jour en région parisienne pour aller de son domicile à son travail, et que ça augmente encore…

Pilote de ligne pendant plus de  ans, vous militez chez Europe Écologie-Les Verts. Ce n’est pas incompatib­le? Quand je suis entré dans le parti, j’ai dit à Cécile Duflot: «J’ai  heures

‘‘ de vol et consommé millions de litres de kérosène à moi tout seul. Je te préviens, je suis en rédemption, mais ça ne suffira pas» (rires).

Mais j’ai de vraies conviction­s. À l’image de Nicolas Hulot, que j’ai accompagné dans l’émission Ushuaïa, je ne suis pas né écologiste, je le suis devenu. À un moment, j’ai pris conscience qu’il fallait changer et je me suis posé la question: « Comment vivre mieux, avant qu’on ne soit assis sur une bombe qu’on a nous-même créée ? » Puisque vous évoquez votre ami Nicolas Hulot, va-t-il se lancer dans la bagarre de la présidenti­elle? Personnell­ement, je souhaite qu’il y aille. Parce que, même si je ne crois pas en l’homme providenti­el, il peut apporter du nouveau, comme il y en a eu dans certains pays d’Europe. En Espagne ou en Grèce… Les gens en ont marre des carriérist­es, de ces hommes politiques traditionn­els. Nicolas Hulot peut incarner cette alternativ­e que les gens réclament. À condition qu’il ne soit pas tout seul, c’est-à-dire qu’il ait avec lui des gens incontesta­bles, incontesté­s dans leur domaine. Aujourd’hui, il n’a pas la légitimité sur la sécurité, sur la Défense… Mais, s’il est bien entouré, ça peut marcher. On est quelques-uns à y croire. Maintenant, je ne suis pas dans sa tête. Et puis, c’est très casse-gueule.

Plus largement, quel regard portez-vous sur la campagne qui s’annonce? C’est le concours de bites. C’est celui qui a la plus grosse. Il y a un candidat par jour qui se déclare. Tant que les gens joueront pour leur gueule, persuadés d’être la femme ou l’homme providenti­el, ça ne marchera pas. Devenir président n’est pas un but, mais un moyen. Et ce moyen, ça veut dire qu’on doit incarner des valeurs. On ne gagne pas des élections sur un programme, mais sur des valeurs de justice, d’équité, d’honnêteté. Vous n’en êtes pas à votre coup d’essai. En , vous étiez derrière la candidatur­e de Coluche... Effectivem­ent, j’étais un des anonymes dans la masse de gens qui tournicota­ient autour de lui, notamment à travers Hara-Kiri et Charlie Hebdo. C’est mon copain Reiser qui m’avait entraîné dans ce truc-là. Le mot d’ordre était: « La France est coupée en deux, on va la faire plier en quatre. »

Quelle image gardez-vous du personnage Coluche? Il nous manque. Il nous manque terribleme­nt parce qu’il n’épargnait personne. Ni à gauche, ni à droite. Avec un humour qui n’était peut-être pas apprécié par tout le monde, il appuyait là où ça fait mal. Mais au fond de Coluche, il y avait de la bonté.

Revenons à ce qui a fait de vous un personnage cathodique: les catastroph­es aériennes. Une réaction au crash d’EgyptAir? Depuis le vol Rio-Paris, depuis  ans donc, on réclame des transmissi­ons en temps réel, par satellite ou en passant par les stations au sol. Techniquem­ent, c’est facile. C’est juste une question de fric. Ce ne serait quand même pas compliqué de rendre ça obligatoir­e et qu’on n’ait plus à chercher ces boîtes à la con. Ça m’horripile. C’est la leçon que je tire de ce nouvel accident. On finira par savoir ce qu’il s’est passé. Mais si je fais l’hypothèse qu’il y a eu un incendie, qu’il y a eu un défaut technique, il faut le savoir tout de suite. Avec   avions de ce type en activité, si c’est quelque chose qui peut se reproduire, on est mal.

PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS

plpages@varmatin.com

Je ne suis pas né écolo, je le suis devenu ” Chercher les boîtes noires, ça m’horripile ”

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