Nice-Matin (Menton)

«C’estfou!»

Mathieu Faivre a remis ça. Il est champion du monde du géant trois jours après son titre en parallèle. Le Niçois (licencié à Isola 2000) raconte l’exploit

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Le champion du monde est au bout du fil. Pas de tumulte. Pas de cri. La voix est posée. Le bonheur est à l’intérieur. Mathieu Faivre est un homme en or. C’est aussi un homme de parole. Il nous avait promis ce coup de téléphone. Voilà. Le Niçois appelle avant d’aller boire un verre avec ses compagnons de route. Il parle, il plaisante, il raconte. Il est géant.

Mathieu, nos appels te portent bonheur. La dernière fois, c’était déjà pour un titre mondial... Mardi soir. Oui, tout ça, c’est grâce à toi. Tiens, on va partager les médailles. Je vais en donner une à Nice-Matin (rires). Alaune,onatitré

‘’Géant !’’ Tu as mieux ? Non. Je ne suis pas journalist­e, je suis skieur. Moi, j’ai fait mon boulot. À toi de faire le tien... Pouvais-tu imaginer une telle semaine quand tu es arrivé à Cortina d’Ampezzo ?

Je m’entraîne toute l’année et je mets toute mon énergie dans mon ski pour vivre des moments comme ça, mais jamais je n’aurais imaginé un tel scénario. Le grand favori d’un championna­t du monde n’est pas sûr d’être titré. Alors, moi ! Moi qui restais sur une période délicate, comment aurais-je pu croire ça. Deux médailles d’or en trois jours, c’était inimaginab­le. Incroyable.

Le sacre en parallèle a-t-il tout déclenché ? Cette victoire m’a un peu libéré. C’est vrai. Ce matin, je me suis dit : ‘’Même si tu sors ou tu fais une mauvaise course, tu ne repartiras pas bredouille de ces Mondiaux’’.

Il y a donc forcément eu un petit effet parallèle. J’ai réalisé que j’étais capable d’aller vite et de gagner. Ça a été un déclic.

«Jenesaispa­sà quoi m’attendre »

Raconte-nous ta folle journée ?

J’ai passé une bonne nuit. Ce qui m’a presque étonné avant un tel événement. Je ne dis pas que j’étais frais et fringuant parce que je me suis levé à h, mais j’étais bien. J’ai pris un petit-déjeuner tranquille : des oeufs, du bacon. J’ai fait mon petit rituel. Je me suis échauffé. Bref, je n’ai rien changé à ma préparatio­n habituelle d’avant course. La première manche ?

Je n’ai pas eu la sensation de produire un ski insensé. Mais j’ai jeté toutes mes forces dans la bataille. Quand je vois ma place, quatrième, je suis satisfait d’être dans la course à la médaille, mais rien n’est fait.

La seconde manche ? Franchemen­t, quand je passe la ligne d’arrivée, je ne sais pas du tout à quoi m’attendre. J’ai fait des fautes sur la première partie du tracé. J’ai même cru sortir. Mais à chaque fois ça passait. Le soleil tombait, la piste avait bougé. Bref, je suis surpris de me retrouver en tête. Mais là, je peux commencer à y croire.

Il reste trois concurrent­s en lice. Tu pries pour qu’ils se ratent ?

(Rires). Non. Mon premier sentiment a été de me dire que j’avais fait le job.

J’avais tout donné. J’ai pensé : ‘’Maintenant, ça ne t’appartient plus.

Aux autres de jouer.’’ Je ne leur ai pas souhaité du mal. C’est le sport. Si tu trouves plus fort, tu t’inclines. Tu reconnais ta défaite.

« C’est gagné ! »

Comment vis-tu la course de Pinturault ?

En fait, tout se passe extrêmemen­t vite.

Luca De Aliprandin­i arrive deuxième. Je dois quitter le siège de leader pour me rendre dans l’aire d’arrivée. Là, sur l’écran géant, je vois Alexis partir à la faute. Il sort. C’est gagné. Je suis champion du monde.

C’est fou ! Fou !

Vous vous êtes vus plus tard avec Alexis ?

Pas vraiment. J’étais en interview, il est passé à côté de moi, il m’a félicité. Vite fait. Je comprends tellement. Je comprends sa frustratio­n. À cet instant, on ne peut pas prolonger les bravos. Je ne peux pas m’en offusquer. J’espère qu’il va se relever dimanche parce que lui n’a pas fini ses Mondiaux. Après deux médailles d’or, que peux-tu encore viser ? J’ai encore pas mal d’objectifs. L’ambition ne va pas s’envoler en fumée. J’ai  ans. J’espère que ma carrière ne s’arrêtera pas demain. Je vais profiter du moment. Mais le week-end prochain, je serai en Bulgarie pour de nouvelles courses. De nouveaux défis. Tout va très vite.

Il y a deux semaines, je finissais e d’une course de coupe d’Europe. Aujourd’hui, je suis double champion du monde.

Mais je suis le même.

Rien ne pourra me changer. Qu’as-tu envie de dire à ceux qui affirment que ton titre est une surprise ? Rien. Pour moi le premier, ce titre est une surprise. Alors... C’était jouable, mais pas écrit. Depuis le début de la saison je n’ai jamais été dans le coup, je n’ai jamais joué avec les meilleurs, ne serait-ce que sur une manche.

« Après Killy, il y aura Faivre »

Tu rejoins Jean-Claude Killy dans l’histoire... J’ignorais qu’il était le dernier Français à avoir été champion du monde en géant il y a  ans.  ans ! Aujourd’hui, après Killy, il y aura Faivre. Et ça pour toujours. J’avoue que ça fait drôle... Comment vas-tu fêter ce sacre ?

Après ton coup de fil, j’ai encore pas mal de demandes d’interviews. Des questions, des réponses... Puis viendra le moment où je pourrai enfin aller boire un verre avec mes entraîneur­s, trinquer avec toute l’équipe. Sans mes coachs, sans cet entourage, rien ne serait possible.

Ton programme ?

Je devais quitter l’Italie pour la Savoie dès la fin du géant, mais ce succès a tout bouleversé. Moi et les plans. On n’allait pas fêter ça dans un minibus entre Cortina et la maison.

« Une décharge en pleine tronche »

Ce n’est pas demain qu’on va te voir en joie à Isola ou défiler sur la Prom’ ? Avec le Covid, je risque d’être un peu seul à Isola et sur la Promenade des Anglais. Mais je viendrai. Quand ? Je ne sais pas.

Bon, allez, dis-nous : ça fait quoi d’être champion du monde ?

Au niveau émotionnel, ça ne s’explique pas.

Ça se vit. Il y a très peu de choses qui peuvent procurer un bonheur aussi intense. Une décharge aussi forte. Je l’ai prise en pleine tronche. Dans l’aire d’arrivée, quand je me prends la tête dans les mains, je suis bousculé. Sonné par l’émotion. Je m’entraîne depuis vingt ans pour ça. Mais quand ça arrive, ça secoue.

PHILIPPE CAMPS

Double champion du monde en trois jours ! Une performanc­e majuscule pour un athlète et une personnali­té hors du commun. Mathieu Faivre ne laisse jamais indifféren­t. Il dérange certains, divise, a même été sorti de l’équipe de France en plein JO pour une réaction à chaud jugée trop individual­iste. L’Isolien est toujours resté droit dans ses bottes. Ses actes, ses propos, ses résultats, il assume toujours tout avec franchise. Mathieu est né avec le talent dans ses spatules, mais c’est bien son caractère qui l’a amené vers les sommets. Ambitieux, hyper exigeant envers lui-même, le géantiste ne laisse jamais rien au hasard. Tout est précis, étudié, analysé. Mathieu aime être maître de son destin. Pour lui, chaque détail compte. Il n’acceptera pas d’enlever ses lunettes de soleil, même pour faire une photo en fin de saison, si la réverbérat­ion est trop forte. Ses succès, Mathieu est allé les chercher grâce à cette force mentale. Celle qui l’a poussé à quitter son cocon familial à peine sorti de l’adolescenc­e pour rejoindre la Savoie. Des sacrifices qui lui permettent aujourd’hui d’entrer par la grande porte dans le panthéon du sport azuréen et même national.

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