L’innombrable armée
Un millier, peut-être deux milliers : le nombre de livreurs à vélo ou scooter a explosé ces cinq dernières années sur la Côte d’Azur. Des jobs d’appoint qui, avec la pandémie, sont devenus parfois des bouées de sauvetage.
Ils zigzaguent dans le trafic pour que ta pepperoni n’arrive pas froide dans ton salon.
Ils poireautent parfois des heures en groupe, qui à vélo, qui à scooter, devant tous les McDo et Burger King de la Côte pour qu’on se régale de junk food malgré tout après le couvre-feu.
Ils sont parfois affublés d’une chasuble qui, loin du maillot jaune, les identifie comme « soldat de la livraison à domicile » pour les géants de la foodtech que sont Uber Eats ou Deliveroo.
Ce sont les livreurs ! Les nouveaux cavaliers de l’aspiration - voire de la contrainte avec la pandémie - à une forme de cocooning gastronomique.
Sur la Côte d’Azur, ils seraient plusieurs milliers.
Jamais les mêmes, au regard du turn-over considérable qui prévaut dans ce secteur. Mais innombrables.
, milliards d’euros sous la pédale
Un exemple : Deliveroo. La plateforme haut de gamme de la livraison de repas s’est implantée en 2016 dans les Alpes-Maritimes : « On célèbre notre cinquième anniversaire ce mois-ci, raconte Charlotte. Nous nous étions alors lancés, sur Nice d’abord, avec une quinzaine de livreurs et près de vingt restaurants. Aujourd’hui, nous comptons plus de quatre cents livreurs actifs et trois cent cinquante restaurants qui proposent de la livraison via notre plateforme. » Croissance exponentielle sans exemple. Ces dernières années, la livraison de repas a été, il est vrai, le premier contributeur (65 %) de la croissance du marché de la restauration.
La Covid, avec la fermeture des restos, puis l’instauration du couvre-feu, a fait le reste.
Ce qui était un nouveau mode de consommation, surtout pour les jeunes actifs, est devenu une bouffée d’oxygène dans un monde fermé.
Le marché de la livraison de repas à domicile ou au bureau pesait en France 3,3 milliards d’euros. À l’horizon 2022, le poids de ce secteur, contrôlé quasi exclusivement par des entreprises anglosaxonnes, pourrait tout simplement doubler et atteindre 7,3 milliards d’euros.
Loin d’avoir encore conscience du poids économique qu’ils portent au quotidien sur leur dos dans les sacs isothermes floqués aux couleurs de leur plateforme, l’armée des livreurs azuréens trouve dans ces jobs un appoint le plus souvent. Ou un sas entre une galère sociale et un projet d’insertion.
Un petit SMIC pour des semaines de heures
Le portrait-robot : c’est un jeune de 18 à 25 ans. Karim, 29 ans, lui s’y est mis il y a cinq mois : «Je suis en ce moment une formation de e-commerce. Mon CDD à La Poste n’ayant pas été reconduit, j’étais un peu en galère. Un pote m’en a parlé. C’est simple : tu t’inscris sur la plateforme, si tu es retenu, tu télécharges l’application. Et hop quand tu te connectes, l’appli te propose des livraisons et c’est parti. » En enchaînant parfois une dizaine de courses par jour, en moyenne d’un montant de 4 à 7 euros, Karim ne se plaint pas : « On est tous autoentrepreneurs, c’est une obligation. Les bons mois, je me fais 1 500 euros. Une fois déduites mes charges (22 %), il me reste un petit SMIC. Mais c’est du 70 heures de boulot par semaine. » Avec la pandémie, le marché a cependant évolué. Ce job d’appoint est devenu pour une nouvelle population de livreurs une bouée de sauvetage.
Depuis l’automne, de nouvelles têtes apparaissent. « Des vieux, se marre Karim. Enfin, je veux dire des mecs de 40 à 50 ans qui ont perdu leur job à cause de la crise sanitaire. Mais aussi pas mal de filles, souvent des étudiantes en galère totale, alors que c’était plutôt au début un job de mec. »
À Cagnes, un de ces nouveaux livreurs de la génération Covid fait sensation.
La soixantaine, rock’n’roll, il livre sur sa Harley. L’histoire ne dit pas si c’est pour arrondir ses fins de mois ou parce que l’appli Uber Eats ou Deliveroo allumée est, en cas de contrôle, un sésame pour rouler après le couvre-feu !
DOSSIER : JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD jfroubaud@nicematin.fr
(Photo Frantz Bouton) des grandes plateformes de la planète.
« Le mec qui a inventé cette histoire de vélo sinon rien, je le prendrais bien avec moi pour le faire crapahuter sur les collines niçoises. La toute première course que j’ai faite, c’était une commande McDo prise sur la Prom’ et qu’il fallait livrer sur les collines à Bellet. Quand je suis arrivé chez le client, mes jambes étaient défoncées, elles m’ont brûlé pendant des jours. Ça m’a vite calmé... Depuis, le vélo est à la cave. »