Nice-Matin (Menton)

Monte Carlo en scène Jean-Christophe Maillot : « Nous faisons ces spectacles pour garder en vie notre métier »

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Comment se porte votre compagnie qui retrouve la scène quittée en janvier dernier ? Grâce aux mesures à Monaco, nous avons réussi finalement à garder une activité normale depuis le mois de juin avec peu de problèmes. Seuls six ou sept danseurs ont eu la Covid. Ça tient plutôt bien. Pouvoir faire des spectacles c’est formidable même si la perte du rythme habituel de travail incluant les tournées est difficile. Les danseurs sont sortis de cette routine, de cette adrénaline, on a eu quelques blessures. Nous en avons profité d’ailleurs pour renforcer notre pôle santé avec une physiothér­apeute présente à temps complet pour faire un traitement préventif. Il y a parfois un excès d’enthousias­me quand on retrouve la scène. Le corps a besoin de cette physicalit­é qui n’est pas totalement remplie par le nombre de spectacles que l’on a. Il y a toujours une frustratio­n de répéter, répéter, répéter encore, sans monter sur scène.

Une situation qui touche le moral des troupes…

Pour les danseurs plus âgés, cette période de confinemen­t est plus négative car ce sont des corps qui sont plus fatigués et quand on lâche, reprendre c’est très difficile. Pour les tout jeunes, c’est une perte de temps brute. Un an pour un danseur équivaut à cinq années dans une vie profession­nelle. Mais je dois avouer que la compagnie en ce moment est magnifique. Peutêtre ça lui a fait du bien de se recentrer, de ne plus être dans la course permanente. Nous étions pris dans cette spirale d’en faire toujours plus. Est-ce vraiment la solution ? Être plus au calme, ça nous force à réfléchir.

Réfléchir à quoi ? J’ai utilisé cette période pour faire ce qu’on arrive jamais à faire, c’est-àdire donner la chance à des plus jeunes danseurs de se préparer pour faire des rôles.

Ça a été très bénéfique, ça m’a permis de vérifier qu’il y a de sacrés talents aussi en équipe réserve qui sont en train de pousser et qui me donnent la certitude que le futur de la compagnie est en bon état. Une génération de danseurs va arriver au bout, les petits jeunes grandissen­t bien. Certains auront d’ailleurs des premiers rôles dans la série de spectacles en cours

C’est une des nouveautés pour ces dix spectacles où vous avez choisi de reprendre, outre Coppél. i-A., deux grandes pièces signatures de la compagnie ?

À vrai dire, ces spectacles je les fais vraiment pour les danseurs. Pour leur survie, celle des technicien­s, pour garder en vie notre métier. Cette fois, au public de venir témoigner de leur soutien aux artistes. Et nous donnerons ces spectacles avec plaisir. Je ne sais pas du tout comment ça va répondre au niveau du public, même si les retours de billetteri­e sont bons. Je suis d’ailleurs assez surpris que le public arrive à venir à  heures.

Jouer à  heures change forcément aussi le rythme d’un danseur ?

C’est certain. Ça oblige à une classe (préparatio­n physique N.D.L.R.) plus tôt le matin. Et après le spectacle en fin d’aprèsmidi, les répétition­s reprennent.

La crise a permis de multiplier les représenta­tions en

Principaut­é, vous souhaitez poursuivre sur cette lancée ? Certaineme­nt. Je suis convaincu que l’on va maintenir un nombre plus important de spectacles à Monaco dans les années futures. Je vérifie que le public répond présent, il y a un plaisir renouvelé à revoir des pièces déjà vues, de les voir incarnées par nos danseurs. J’espère d’ailleurs porter le centre d’intérêt pas seulement sur la pièce chorégraph­ique, mais sur qui le fait.

J’essaye d’amplifier ça avec notre plateforme numérique. Je voudrais que le public ait la possibilit­é de connaître les danseurs, de s’attacher à eux.

Vous êtes pour la

« starificat­ion » des danseurs, alors que souvent ce sont des artistes anonymisés derrière leur rôle ?

La danse classique avait pour habitude de créer des stars, puis ça a beaucoup changé avec la danse contempora­ine. Il y a eu une normalisat­ion du danseur, où le chorégraph­e est devenu la star et le danseur l’outil à faire valoir. Le dernier a avoir été une star et a créé des stars, c’est Maurice Béjart, on lui a d’ailleurs pas mal reprocher. Il faut que ça naisse ici en Principaut­é. Cela correspond à la réalité d’aujourd’hui, c’est-àdire la mise en avant de l’individu au travers de ces fameux réseaux sociaux, que l’on aime ou pas, mais qui sont incontourn­ables.

Vous incitez les membres de la compagnie à jouer ce jeu ?

Nous avons commencé sur notre plateforme numérique à proposer des portraits vidéo des danseurs. J’aimerais que le public entre dans leur travail quotidien. Qu’il apprenne à savoir qui ils sont humainemen­t et qu’en venant voir le spectacle, on regarde la personne au-delà du rôle.

Après ces dix spectacles, quelles sont les perspectiv­es ?

Nous avons des choses inscrites, des tournées prévues. Mais estce que les frontières vont se rouvrir, dans quelles conditions ? Le vrai sursaut, on le sent, sera pour septembre .  sera encore une année bancale.

Ce qui est très étrange, c’est ce sentiment de toujours être en train de préparer quelque chose qui avorte tout le temps. Ça provoque une très grande lassitude. Il faut résister à l’envie de lâcher.

Résister à l’envie de tout lâcher”

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Le chorégraph­e-directeur des Ballets de Monte-Carlo, à l’heure des répétition­s dans la Salle des Princes du Grimaldi Forum.

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