Nice-Matin (Menton)

Un an après, larmes et colère dans les rues de Beyrouth

Alors que la communauté internatio­nale débloquait une nouvelle aide d’urgence, la capitale libanaise commémorai­t le drame du 4 août 2020. Entre deuil et désir de changement, par la force si besoin.

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Sur l’autoroute surplomban­t le port de Beyrouth, ils sont des milliers. Une minute de silence en hommage aux 214 personnes qui ont perdu la vie, des applaudiss­ements nourris, l’hymne national chantée a capella, puis ce slogan quasi-absent des rues depuis l’explosion meurtrière il y a un an : « Thawra, thawra, thawra ». « Révolution », en arabe.

À 18 h 07, l’heure à laquelle Beyrouth a plongé dans l’enfer le 4 août 2020, quand des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium ont dévasté la capitale, la douce lumière de ces couchers de soleil méditerran­éens illumine les ruines des entrepôts du port.

Prières et cocktails Molotov

Là, au pied des silos à grains éventrés, la voix grave d’un prêtre égrène des litanies religieuse­s devant les familles des victimes. À quelques encablures, près du Parlement, tirs de gaz lacrymogèn­e et de balles en caoutchouc, cocktails Molotov, pneus brûlés, et heurts entre manifestan­ts et forces de sécurité.

Défilés de contestata­ires, concerts, prières, veillées aux chandelles : hier, la cacophonie visuelle et sonore illustrait les tirailleme­nts de toute une nation, exprimant sous différente­s formes son traumatism­e et son deuil. Sari Majdalani était dans la cuisine de l’hôtel où il travaillai­t comme chef dans le quartier de Gemmayzé, quand l’explosion s’est produite. «Je vidais une assiette, soudain tout a explosé autour de moi », se souvient-il sobrement. « Je l’ai échappé belle, il ne m’est rien arrivé. »

« État meurtrier »

Aujourd’hui il travaille dans un restaurant de cuisine libanaise gastronomi­que, qui a ouvert ses portes il y a trois mois à Gemmayzé, un quartier détruit par l’explosion cherchant, comme ses habitants, à retrouver un semblant de normalité. « On essaye de se dire qu’on peut faire quelque chose, après tout ce qui s’est passé », lâche le jeune homme, qui peine toutefois à rester optimiste. « J’essaye de me mentir à moi-même, me dire que tout ira bien. Mais en ce moment, je pense qu’il n’y a pas d’espoir. » Derrière lui se dressent plusieurs tours, carcasses de béton éventrées couvertes d’échafaudag­es, mais aussi d’imposantes bannières fustigeant des dirigeants politiques jugés premiers responsabl­e de la tragédie.

« Otages d’un état meurtrier », peuton lire en lettres rouges.

Malgré l’ampleur du drame, l’enquête locale piétine. Aucun coupable n’a été jugé, même si des ex-ministres sont dans le viseur de la justice. La classe politique, ces anciens seigneurs de guerre qui ont troqué le treillis pour le costume au sortir de la guerre civile (1975-1990), est aujourd’hui accusée de tout faire pour torpiller l’enquête et éviter des inculpatio­ns, en arguant d’une prétendue immunité.

« Pas d’espoir à l’horizon »

Pour exprimer leur colère contre ces politicien­s, des jeunes se lancent torses nus à l’assaut des barbelés qui bloquent l’accès au Parlement. Des scènes qui ne sont pas sans rappeler le soulèvemen­t populaire d’octobre 2019, qui s’est depuis essoufflé. À l’extérieur du port, Nour, jeune lycéenne de 19 ans, porte un drapeau libanais noué au crâne. Elle brandit un portrait du capitaine Aymane Noureddine, sourire éclatant dans son uniforme militaire. Un ami de la famille.

« Un an s’est écoulé depuis l’explosion, et justice n’a toujours pas été rendue », lâche Nour. « Il n’y a pas d’espoir à l’horizon. Je ne veux pas quitter le pays, mais si la situation persiste, quand mes études seront terminées, évidemment que je partirais. »

Dans le même temps, la communauté internatio­nale, Joe Biden et Emmanuel Macron en tête, a sommé hier les dirigeants libanais d’agir pour extirper le pays de la pire crise économique de son histoire, et a promis une nouvelle aide d’urgence de

 millions de dollars au profit de la population. Emmanuel Macron, qui présidait depuis le fort de Brégançon, dans le Var, la troisième « Conférence internatio­nale de soutien à la population libanaise », a promis « près de  millions d’euros » d’aide sur les  prochains mois (après déjà  millions d’euros en ), ainsi que l’envoi de   doses de vaccins anti-Covid. Tout en fustigeant des

« dysfonctio­nnements injustifia­bles » de la classe politique libanaise : « Ils semblent faire le pari du pourrissem­ent », a-t-il lancé, déplorant une « faute historique et morale » et agitant une nouvelle fois la menace de sanctions. Même son de cloche de la part du président américain Joe Biden, qui les a exhortés à « faire le dur mais nécessaire travail de réformer l’économie et combattre la corruption », et en annonçant une aide américaine du même montant que la France.

Cette somme de  millions d’euros au total est destinée à couvrir les besoins immédiats de la population. L’aide structurel­le nécessaire au redresseme­nt économique du pays est, elle, estimée à plus de  milliards de dollars.

Un apport que la communauté internatio­nale conditionn­e à la formation d’un gouverneme­nt et à la mise en oeuvre de réformes. Pour le moment, l’argent va directemen­t à des associatio­ns, sous les auspices des Nations unies, et non à l’État libanais, afin d’éviter corruption et incurie.

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Sur le port, près des emblématiq­ues silos à grain, les familles de victimes rassemblée­s pour une cérémonie religieuse. Tandis que près du Parlement, des heurts éclatent entre manifestan­ts et forces de l’ordre.
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