Nice-Matin (Menton)

Draguignan : Paul Bailet, la mort lui va si bien

Cet anthropolo­gue originaire de Nice livre son quotidien parmi les morts. Voguant entre passé et présent, le Dracénois d’adoption offre une leçon d’histoire bien loin des manuels scolaires.

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Tout doucement, l’archéologu­e dépose un crâne sur son bureau. « Et dire que je devais faire carrière dans le marketing », souffle-t-il, un sourire en coin. Si ses collègues vantent son humour à grands éclats de rire, cette fois-ci il est bel et bien sérieux. «Ça a un peu dérapé...» Dans son laboratoir­e, qu’il appelle sa « deuxième maison », sont exposés les témoins d’une vie inattendue. «Jenemesera­is jamais imaginé la vivre. Parfois j’oublie que c’est aussi fou. Donc je prends le temps d’observer. De profiter avant que ce ne soit trop tard ! » Tout commence en 1986 lorsque Paul Bailet a l’opportunit­é d’effectuer un stage sur l’inhumation, au centre de recherches archéologi­ques du CNRS de Valbonne près de Nice, sa ville d’origine. « Puis, je ne me suis plus arrêté. En 1990 on m’a demandé de rejoindre le laboratoir­e d’anthropolo­gie physique de Draguignan, fondé par l’abbé Boyer. » À sa fermeture en 2008, le Dracénois d’adoption deviendra même le créateur et responsabl­e de l’unité Archéologi­e et patrimoine de l’agglomérat­ion dracénienn­e.

Au pays des merveilles

Il a ainsi travaillé sur de nombreuses sépultures, notamment à la chapelle Sainte-Roseline aux Arcs-sur-Argens. « Puis je me suis formé à l’étude de la crémation. C’est devenu ma spécialité ! Je peux donc intervenir sur le monde funéraire n’importe où et à n’importe quelle période. » Paul Bailet est capable, à partir d’ossements, de reconstitu­er une culture, voire les derniers instants de vie d’une personne. «On refait vivre un corps, autrement ! « Cela va bousculer sa carrière. La voix posée, il poursuit : « L’histoire se corse peu de temps après la découverte du phare d’Alexandrie (Égypte), par Jean-Yves Empereur. La fameuse nécropolis - ou ville des morts - est trouvée à son tour. » Nous sommes en 1997. Il s’agit d’un pur hasard. «Unengin mécanique est passé à travers le plafond de la nécropole lors de la création d’une autoroute traversant le bidonville. Improbable ! «

Un an après, Paul Bailet est appelé pour effectuer des datations et analyser les méthodes de crémation. Car si le pays est connu pour ses momies, la ville a été fondée par le Grec Alexandre, venu avec sa population et ses rites funéraires. « C’est là-bas que j’ai trouvé les premières hydries : des vases créés pour transporte­r de l’eau qui deviendron­t des urnes où seront déposés les os brûlés. » Une découverte majeure, mais aussi la source d’un mystère qui donne du fil à retordre à l’archéologu­e.

De fil en aiguille

« Il y avait une dizaine d’urnes. Mais dans certaines, les os brûlés étaient disposés dans l’ordre, des pieds à la tête. Et là, nos connaissan­ces en prennent un coup », avouet-il. Comment ont-ils pu reconnaîtr­e, sur le bûcher, chaque os brisé au point de pouvoir les disposer de cette manière sans connaissan­ce anatomique ? « Figurez-vous que j’ai peut-être trouvé la réponse en Tunisie, sept ans plus tard, dans l’une des plus grandes nécropoles à Hammamet, où j’ai fouillé plus de 3 500 sépultures. »

Sur un bûcher, gît devant ses yeux un individu entièremen­t brûlé, mais figé en position couchée. « Le squelette retrouvé de cette manière une fois que le feu est éteint permet de ranger les os dans l’ordre. « Une technique similaire à celle utilisée à Alexandrie ? « J’y retourne en octobre pour vérifier cette (Photos Camille Dodet) théorie. C’est à en devenir totalement fou, mais c’est incroyable, tout est peut-être lié », annonce-t-il avec hâte. En attendant, le scientifiq­ue ne risque pas de s’ennuyer. Énumérer toutes ses missions permettrai­t de remplir un journal. Après tout, elles vont alimenter un livre en partenaria­t avec le Centre d’études alexandrin­es. L’ouvrage présente l’étude de la crémation et ses particular­ités. Il devrait sortir en 2023, en partie financé par l’université d’Harvard.

« En parallèle cela fait quelques années que je travaille sur un projet à la fois historique et touristiqu­e. Grâce aux fouilles, j’ai pour objectif de reconstitu­er des bâtiments en 3D, comme ils étaient à leur époque. Ensuite, les fichiers pourront être importés dans des bornes pour raconter la vie passée du lieu en question. »

« Je suis une machine à remonter le temps »

Un projet qu’il espère développer avec une trouvaille locale : un bâtiment agricole découvert sous le site de l’ancienne prison de Draguignan. « Il peut y avoir un lien avec la chapelle Saint-Hermentair­e. Le diagnostic que nous sommes en train de réaliser peut avoir un réel enjeu pour l’histoire locale. Je suis un peu une machine à remonter le temps. »

Et son laboratoir­e en témoigne. Étalés sur les tables, des os de toutes tailles. «Jesais, à quelques-uns près, à quoi ils correspond­ent ! » L’anthropolo­gue prend délicateme­nt un minuscule bout d’os et le pose dans le creux de sa main. « Celui-ci fait partie de la clavicule d’un jeune de moins de 25 ans. » Une évidence !

Son expertise n’est d’ailleurs pas passée inaperçue auprès de la police qui a fait appel à ses services en anthropolo­gie médico-légale. « Je manipule des ossements toute la journée ! Je ne sais pas faire d’autopsie, mais je peux reconstitu­er un squelette à partir de débris osseux. »

Un métier surprenant, à multiples facettes. Hyperstimu­lant, parfois même trop. D’ailleurs, il ne faut pas être surpris si une odeur d’encens et quelques notes de musique classique s’échappent de son laboratoir­e. « C’est que je cogite ! »

LEÏLA DAVAUD ldavaud@nicematin.fr

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Paul Bailet est capable, à partir d’ossements, de reconstitu­er une culture, voire les derniers instants de vie d’une personne.
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