Nice-Matin (Menton)

Juliette : « J’ai peur de ne pas pouvoir oublier ma haine »

Elles sont soeurs. L’une avait 10 ans, l’autre avait 16 ans le soir de l’attentat de Nice. Hier, elles ont témoigné de leur vie brisée de « victimes psychologi­ques ». Avec courage et sans fard.

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L’une a 16 ans. Elle en avait dix le soir du drame. L’autre avait l’âge de sa soeur aujourd'hui. Courageuse­ment, elles ont déposé à la barre, hier, au procès de l’attentat du 14Juillet 2016 devant la cour d’assises spéciale de Paris. Il y a 6 ans, avec Isabelle, leur maman qui a témoigné avant elles, elles ont fait face au camion blanc. « Trois minutes » de leur vie, « omniprésen­tes », « impossible­s à oublier ». Âmes meurtries, pas le corps. Les deux jeunes filles n’ont pas de blessures physiques. Elles ont vu. « Seulementv­u» , disent-elles. Et se sont empêchées trop longtemps de s’admettre victimes. « J’ai passé 5 ans à essayer de tout refouler, mais le procès a ravivé la blessure. Il faut que j’arrête de me défiler, que je traite le traumatism­e, il s’insinue partout », confie l’aînée, Juliette. Ce 14 juillet est, pour elle, « la définition de l’injustice » .Etledébutd­u reste de sa vie.

« Ma soeur a perdu sa joie de vivre »

La cadette, Coline, visage encore enfantin, encadré de cheveux courts, raconte des bribes de sa nuit avec un détachemen­t auquel son aînée ne croit pas un instant. Ce qu’elle a vu et dont elle se souvient. Ce qu’on lui a raconté et qu’elle essaie de rattacher à ses souvenirs de gosse de 10 ans. « Son état, ma soeur n’en a pas conscience. Elle était plus timide que moi, c’est vrai, mais elle avait une grande joie de vivre. Aujourd’hui, elle n’exprime plus rien, elle n’a plus aucune joie de vivre. On ne peut pas la toucher sans qu’elle sursaute. J’ai peur de lui faire de la peine en disant ça, mais elle a besoin de l’entendre », souffle Juliette, les yeux remplis de larmes.

Elle se souvient de tout. Les deux soeurs se complètent, se comprennen­t et colmatent leurs fêlures, dans un tourbillon d’amour.

« Avant, j’étais très très sociable, très heureuse, très humaniste et utopiste. J’étais persuadée que l’on pouvait sauver le monde avec de belles idées. J’avais foi en l’être humain. Vous comprendre­z que c’est fini », articule Juliette.

Sa vie aujourd’hui, c’est une plongée à corps et coeur perdus dans les études. Une vie rythmée par son traumatism­e, qui ne faiblit pas. Dont les séquelles surgissent sans prévenir. Juliette sourit : « J’ai fait une liste peut-être pathétique de ce qui reste de l’attentat dans mon quotidien ». À 22 ans, elle n’a pas le permis : la peur de devenir une arme. « Au volant, j’ai l’impression de porter une kalach ». Elle cherche les issues de secours partout où elle va, «si vous voulez vous échapper de cette salle, je sais exactement comment en sortir ». Elle multiplie les crises d’angoisse au moindre bruit suspect, ou lorsqu’elle croise un véhicule qui roule trop vite dans la nuit...

« J’ai perdu mon adolescenc­e »

Sa vie, c’est aussi l’insoucianc­e pulvérisée par le camion : « J’ai perdu mon adolescenc­e, j’ai compris ce que c’était de pouvoir mourir à tout instant. » La culpabilit­é : « J’ai voulu aider le camion, je pensais qu’il avait perdu le contrôle. Je m’en veux d’avoir pensé à aider cet enculé. Mais j’ai croisé le regard de ma mère, j’ai compris, qu’en fait, il contrôlait parfaiteme­nt ce qu’il faisait. » Envers sa soeur, ses parents. « Je les ai fait souffrir par mon comporteme­nt, j’ai été odieuse avec eux. J’ai envie de dire à mes parents que je n’aurai pas pu avoir de meilleurs parents qu’eux. » Coupable, encore, « d’être en vie », ce terrible sentiment commun à presque tous ceux qui restent... Et surtout, poursuit Juliette,

(Photos DR)

Unité SGP, monte également au créneau : « Tant qu’il n’y aura pas de réponse pénale à la hauteur des agressions commises, ces voyous auront un sentiment de toute-puissance. Un principe devrait s’appliquer : celui qui s’en prend à un policier doit être incarcéré. Cela devrait être la règle. On ne peut pas se contenter d’une peine d’intérêt général. Il faut prendre des décisions fortes pour ne pas se diriger vers la société du chaos. »

Dans un quartier dit de « reconquête

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Juliette et Coline ont trouvé la force de venir raconter leur 14-Juillet à la barre du procès de l’attentat de Nice.
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